dimanche 9 février 2020

Les Fourberies de Scapin: la fameuse scène du sac

Samedi nous avons fini l'explication linéaire de la scène dite du sac ( Acte III, scène 2). j'ai distribué une explication rédigée et montrer trois mises en scènes différentes de cette scène.

En complément:  interview d u metteur en scène Jean -Louis Benoit Scapin est joué par l'acteur Philippe Torreton.

Extrait de la répétition de la scène du sac dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent : Daniel Auteuil dans le rôle de Scapin.

Remarques sur les trois extraits vus en cours:


La célèbre scène « du sac » (acte III, scène 2) est le passage attendu entre tous dans Les Fourberies de Scapin, celui qui conduit à la fois à l’apothéose du fourbe-comédien et à sa chute. Elle réclame une exceptionnelle virtuosité vocale (Scapin interprète simultanément une demi-douzaine de soldats) et une énergie physique considérable. Elle invite à une analyse du jeu d’acteur et donne l’occasion de voir qu’il y a mille façons de donner des coups de bâtons, comme il y a mille façons de les recevoir…

Les trois scénographies ( décor) ont en commun de représenter un espace portuaire, tantôt sur un mode réaliste (pavés, parapet, mâts et voilures chez Vernier), tantôt de manière stylisée (un cyclorama pour le ciel, un horizon sombre pour la mer et un sol de planches pour Valantin et Benoît).

La mise en scène de Benoît opère une modification importante par rapport au reste de la pièce   : pour la scène du sac, un grand rideau rouge ouvert à l’italienne vient encadrer l’image.

Comment interprétez-vous le choix scénographique de Jean-Louis Benoît ?
Le rideau à l’italienne qui s’ouvre en début de scène souligne, par sa manière de mettre en abyme la forme théâtrale, le statut de comédien de Scapin : le valet y incarne plusieurs personnages à lui tout seul et fait montre d’un remarquable talent de dramaturge pour bâtir ses intrigues.
La présence du rideau rouge est aussi une manière de mettre en évidence le caractère attendu de cette célèbre scène.

Repérer les éléments de costumes qui renvoient au XVIIe siècle : pour Scapin, l’habit rayé reprenant le costume traditionnel de la commedia dell’arte (Vernier), la rhingrave (culotte bouffante) et l’ample chemise de coton (Benoît), la livrée bicolore à col plissé (Kerchbron) ; pour Géronte, le plus souvent un sévère habit noir à col blanc ou un habit de voyage marron en velours épais (Benoît).
Cet ancrage temporel connaît une entorse majeure dans la mise en scène d’Émilie Valantin ( Marionnettiste) : si l’habit à galons que portent les deux personnages s’inscrit bien dans une esthétique d’Ancien Régime, Scapin finit par ôter le sien pour apparaître en chemise noire tout à fait contemporaine et en jean avec inscrit au dos de la chemise Fourbe.

Quel est, selon vous, le sens de la proposition de costume d’Émilie Valantin ?
Mentionner la rupture temporelle provoquée par le changement de costume (habit « d’époque » vs vêtements contemporains) et le jeu avec les conventions établies par la mise en scène depuis le début du spectacle (les vêtements du marionnettiste prennent le pas sur le costume du personnage). S’interroger sur la double signification du mot « manipuler » et sur le fait que l’inscription située dans le dos du marionnettiste jette le trouble sur l’identité de cet homme qui donne à voir simultanément son statut de personnage et de comédien-marionnettiste.
Valantin imagine aussi de faire de sa veste le fameux sac de Scapin : faut-il y voir une allusion au célèbre vers de Boileau (« Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe ») qui suggère que Molière, lorsqu’il jouait le rôle de Scapin, portait un grand manteau servant de sac ?


Mesurer la manière dont les mises en scène motivent (ou non) la présence du sac. Dans certains cas, il se trouve placé sur un côté du plateau et Scapin s’en empare lorsqu’il en a besoin sans que sa présence soit expliquée (Vernier, Échantillon, Kerchbron). Cette apparition du sac est alors rendue la plus discrète possible. Chez Benoît, au contraire, l’arrivée du sac est solennisée : il est placé au centre du plateau et le rideau s’ouvre sur lui, comme sur le comédien vedette ( Philippe Torreton) au seuil de sa grande scène. 
Valantin propose une variation sur le motif de l’apparition naturelle : loin d’escamoter l’arrivée du sac, elle en explique l’apparition par la transformation de l’habit de Scapin ; c’est en retournant sa veste – au sens propre – qu’il confectionne son sac.

Décrivez le jeu de Géronte enfermé dans son sac (position, mouvements, déplacements, bruits).
Quelles mises en scène se distinguent des autres ?
Mesurer l’inventivité des comédiens confrontés à une contrainte majeure : jouer en étant caché. Si le Géronte de Valantin demeure immobile (il s’agit d’une marionnette), les autres tremblent, poussent des cris ou rampent sur le sol pour tenter de s’enfuir.
  le Géronte de Kerchbron  a le plus grand mal à rentrer dans le sac lors du deuxième assaut (il n’y met que la tête), ou celle d’Échantillon dans laquelle on voit Géronte debout, les deux jambes dépassant du sac troué.

Décrivez la manière dont Scapin traite Géronte enfermé dans le sac : comment joue-t-il concrètement avec lui (déplacement, rythme, intensité des coups) ?

Relever d’abord les gestes communs aux différentes versions : Scapin s’assoit sur le sac (Vernier, Kerchbron, Échantillon), y pose le pied ou l’escalade (Benoît, Vernier) et a des gestes méprisants (il s’y allonge, le transporte ou le fait tomber).

Observer ensuite les propositions plus singulières, notamment celles qui jouent avec un imaginaire équestre : chez Vernier, Scapin chevauche le sac comme un destrier ; chez Échantillon, il l’affuble d’un masque de cheval et l’oblige à faire des tours de piste comme pour le dresser. Dans deux mises en scène, Scapin se livre à une sorte de spectacle ou de cérémonie : il frappe Géronte en rythme pour le faire crier en cadence (Vernier), il danse autour du sac puis fait tourner en rond Géronte en lui tenant la tête (Kerchbron). D’un Scapin à l’autre, la violence des coups apparaît très variable, depuis les légers coups de badine (Vernier) jusqu’aux violents coups de gourdins rendus possibles par le fait que Géronte soit une marionnette (Valantin), par l’épaisseur du sac (Benoît) ou par le fait que le comédien, grâce à un habile tour de passe-passe, ne soit plus dans le sac (Podalydès).

Scapin ne (mal)traite pas Géronte tout à fait de la même manière d’une mise en scène à l’autre.
Quel aspect du personnage est mis en valeur par chaque proposition ?
La didascalie de Molière indique que Scapin « donne plusieurs coups de bâton sur le sac » : les cinq mises en scène enseignent qu’il existe de nombreuses manières de donner des coups de bâton et chacune dit quelque chose du personnage qui les donne (et peut-être des raisons pour lesquelles il les donne). Chez Vernier et Kerchbron, Scapin manifeste une forme de légèreté et d’irrévérence. Dans la mise en scène circassienne d’Échantillon, il s’agit surtout pour Scapin d’affirmer sa supériorité sur Géronte, de le dominer plus que de le maltraiter. Pour le Scapin de Valantin, Benoît et Podalydès, le but est indéniablement de faire mal.
 Le Scapin de Benoît déploie une considérable énergie physique, celui de Podalydès peut frapper sans retenue grâce à l’ingénieux dispositif scénographique (trappe qui permet au comédien incarnant Géronte de sortir du sac sans être vu et d’y rentrer couvert de sang). Cette violence traduit-elle le désir de se venger des humiliations ? La rage de celui qui a souvent été lui-même battu ?


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