mardi 17 décembre 2019

Le Mariage de Figaro: Acte I scène I : explication linéaire possible


Plan de l’extrait.
Après une didascalie initiale, la scène, assez longue, s’étale sur 97 lignes et se décompose en parties :
– ll. 1 à 10 : Une discussion légère entre amoureux ;
– ll. 11 à 22 : Refus de la chambre par Suzanne et incompréhension de Figaro ;
– ll. 23 à 65 : Les raisons du refus de Suzanne ;
– ll. 66 à 78 : Désir de vengeance de Figaro ;
– ll. 79 à 83 : Une épouse délaissée ;
ll. 83 à 97 : Nouvelle discussion légère entre amoureux.



La didascalie initiale donne au metteur en scène et aux acteurs des indications sur le décor et sur les actions des personnages. L'importance accordée par Beaumarchais aux didascalies montrent son souci de la mise en scène.IL écrit pour la représentation, le jeu des acteurs.
Le décor : nous avons une chambre à demi démeublée (c’est-à-dire qu’il y manque le lit), au milieu (= endroit important) de laquelle se trouve un « grand fauteuil de malade », accessoire qui va jouer un rôle important, notamment à la scène 8 de l’acte I. Interrogation sur le choix de cet élément d'ameublement: qui est malade? L'amour rendrait-il malade? la Comtesse délaissée?
 Les actions des personnages :
– Figaro mesure la surface du plancher (« Figaro, avec une toise, mesure le plancher ») ;
– Suzanne « attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d’oranger, appelé chapeau de la mariée ».

Le lieu (une chambre) et un accessoire, le couvre-chef de Suzanne, connotent le mariage. Toutefois, l’absence d’un accessoire important dans une chambre de mariés (le lit conjugal) montre que le mariage n’a pas encore eu lieu malgré le titre de l'ouvrage.



  1. 1.       Une discussion légère entre amoureux : ll. 1 à 10.
 L’action commence in medias res. Figaro est en pleine action : il mesure une surface, comme l’indique la réplique « Dix-neuf pieds sur vingt-six » (l. 1), où l’on multiplie (« sur », l. 1) une largeur (« Dix-neuf pieds », l. 1) par une longueur (« vingt-six », l. 1).


S’ensuit un court dialogue entre Suzanne et Figaro. Le thème en est léger, voire libertin, puisqu’il est question :
– de la virginité de Suzanne (« ce bouquet virginal », l. 5) ;
– des appas de celle-ci (« la tête d’une belle fille », l. 6) ;
– de l’amour de Figaro (« l’œil amoureux d’un époux », ll. 6-7) ;
– des noces de Figaro et de Suzanne, qui vont mettre fin à la virginité de celle-ci (« le matin des noces » l. 6).
Le champ lexical de la sexualité est dominant : «  virginal » (l. 5), « belle fille » (l. 6), «  amoureux » (l. 7) ; « époux » (l. 7). 
Un échange de répliques (ll. 9 à 11) nous informe sur ce que fait Figaro : il mesure si la chambre est assez vaste pour contenir leur lit conjugal, offert par leur maître, (« Je regarde […] si ce beau lit aura bonne mine ici », ll. 9 et 10). Nous continuons donc d’être dans le domaine de la sexualité, puisqu’il s’agit du lit où va se dérouler leur nuit de noces ; et une certaine ambiguïté est introduite puisque ce lit nuptial est offert par le compte, qui s’introduit donc ainsi dans l’intimité du couple.
 Dans tout ce passage, les deux personnages apparaissent très proches l’un de l’autre :
– ils s’appellent par leurs prénoms (« Figaro », l. 2 ; « Suzanne », l. 9) ;
– Suzanne  tutoie Figaro (« tu », l. 3) ;
– nous ne savons pas si Figaro tutoie Suzanne, mais nous pouvons le supposer, puisqu’il emploie des termes hypocoristiques [= petits mots gentils], quand il s’adresse à elle (« ma charmante », ll. 4-5 ; « ma petite Suzanne », l. 9) ;
– celle-ci emploie également des termes hypocoristiques pour s’adresser à lui (« mon fils », l. 8).



  1. 2.       Refus de la chambre par Suzanne et incompréhension de Figaro : ll. 11 à 22.
Dans le passage suivant (ll. 11 à 22), Suzanne refuse le lit offert par le comte, sans justification malgré la demande pressante d’explications de Figaro.
Cet échange se fait sur un rythme rapide : les répliques font de deux (« Pourquoi », l. 14) à neuf syllabes (« Oh ! quand elles sont sûres de nous ! », l. 20).
 Alors que Suzanne s’adresse toujours à Figaro en le tutoyant, ce dernier la désigne en employant le pronom personnel indéfini (« On dit une raison », l. 18) ou en l’englobant dans l’ensemble de la gent féminine (« Oh ! quand elles sont sûres de nous ! », l. 20). Il s’agit de développer le topos ( cliché) du caractère capricieux des femmes, popularisé par l’adage attribué au roi François 1er : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie ».
 Suzanne répond par un paradoxe (« Prouver que j’ai raison serait accorder que je puis avoir tort », l. 21-22), qui renforce le topos évoqué précédemment : les femmes sont des créatures irrationnelles.
  Pour finir, elle tente de clouer le bec de Figaro en utilisant un raisonnement par l’absurde (« Es-tu mon serviteur ou non ? » l. 22), en s’appuyant sur le code amoureux élaboré au Moyen-Âge, du temps de l’amour courtois : le chevalier servant doit obéir aveuglément aux ordres de la Dame de ses pensées et ne jamais la contredire : si Figaro la contredit, c’est qu’il n’est pas véritablement amoureux d’elle.
 Dans ce passage, Beaumarchais utilise le comique de caractère : Suzanne représente toutes les femmes et a un défaut qui est censé leur être commun.



  1. 3.       Les raisons du refus de Suzanne : ll. 23 à 65.
 Figaro tente alors de la convaincre, et fait donc appel à un argument logique : il faut accepter cette chambre à cause de sa commodité (« la chambre du château la plus commode », ll. 23-24).
À l’exemple utilisé par Figaro pour illustrer son argument (« La nuit, si Madame est incommodée, elle sonnera de son côté ; zeste ! en deux pas, tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose : il n’a qu’à tinter du sien ; crac ! en trois sauts me voilà rendu », ll. 25 à 28), Beaumarchais fait répondre Suzanne, en utilisant un parallélisme, qui fait appel au comique de mots, notamment par le réemploi des interjections « zeste » (l. 30) et « crac » (l. 31), et de l’expression « en trois sauts » (l. 31) qui, tout en continuant d’évoquer la rapidité,  prennent un sens grivois, sexuel dans ce nouveau contexte.
 Un autre élément comique intervient alors : Figaro, qui a peur d’avoir compris, demande à Suzanne d’expliciter sa réponse (« Qu’entendez-vous par ces paroles ? », l. 32), et celle-ci, pour le faire enrager, tarde à lui donner une réponse qui l’éclaire (« Il faudrait m’écouter tranquillement », l. 33).
 Finalement, Suzanne explicite la situation dans la réplique qui va de la ligne 35 à 42.
– Nous y apprenons, d’abord, que le personnage appelé « Monseigneur » (l. 10) est le comte Almaviva, que les spectateurs de l’époque, ou les personnes cultivées de la nôtre, connaissent pour être un des principaux personnages du Barbier de Séville.
– Puis Suzanne répond, avec un air de supériorité, comme le montre l’apostrophe « mon ami » (l. 35), qui remplace les termes hypocoristiques employés précédemment. Elle indique que le comte veut tromper sa femme avec elle. Pour cela, deux procédés d’insistance sont employés :
. un chiasme (« le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ; c’est sur la tienne […] qu’il a jeté les yeux », ll.36 à 38) ;
. une phrase emphatique (« c’est sur la tienne […] qu’il a jeté les yeux », ll. 37-38) ;
. une litote (« auxquelles il espère que ce logement ne nuira point (ll. 38-39).
– Ensuite est évoqué le personnage de Bazile, qui intervenait aussi dans Le Barbier de Séville, où il figurait parmi les opposants du jeune couple d’amoureux formé par le comte Almaviva et Rosine, la future comtesse ; il apparaît, dans la nouvelle pièce comme dans la précédente, comme un personnage tout à fait négatif, comme le montrent les procédés suivants, utilisés ironiquement par Suzanne pour parler de lui :
. l’antiphrase (« le loyal Bazile », l.39 ; « mon noble maître à chanter ) [dans Le Barbier de Séville, Bazile fait l’éloge de la calomnie] ;
. l’oxymore (« honnête agent de ses plaisirs », ll. 39-40) [on ne peut pas être « honnête », c’est-à-dire, dans le contexte, partisan de la morale, et aider le comte dans ses desseins immoraux].
 La réplique de Figaro (ll. 42-44) ne s’adresse pas directement à Suzanne, mais est une menace envers Bazile, absent. Elle utilise le comique de mots à l’aide des procédés suivants :
– l’antiphrase employée en apostrophe (« Ô mon mignon », l. 42) : Figaro utilise un terme hypocoristique, qui normalement marque l’affection, pour mieux faire ressortir son aversion pour Bazile ;
– les périphrases humoristiques :
. « volée de bois vert, appliquée sur une échine » (ll.42-43) pour désigner des « coups de bâton »,
. « redressé la moelle épinière à quelqu’un » (ll. 43-44) pour dire « frappé le dos ».

 Un échange de courtes répliques (ll. 45 à 51) a lieu.
– Il permet à Suzanne de se moquer de la naïveté de Figaro :
. elle utilise en apostrophe un terme condescendant (« bon garçon », l. 45) ;
. elle utilise, pour évoquer le montant de la dot que lui donne le comte, une question rhétorique (« Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu’on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ? », ll. 45-46) ;
. elle personnifie le mérite de Figaro (« les beaux yeux de ton mérite », l. 46).
– Figaro évoque les événements qui se sont passés dans Le Barbier de Séville : c’est grâce à lui que le comte a épousé Rosine. Il le fait implicitement (« J’avais assez fait pour l’espérer », l.47) car le spectateur de l’époque connaît déjà normalement la première de ces deux pièces.
– Rosine continue à se moquer de Figaro en élargissant son propos dans un paradoxe qui vise tous les gens d’esprit (« Que les gens d’esprit sont bêtes ! », l. 48).

 Suzanne reformule, de la ligne 52 à 54, de façon explicite (« Apprends », l. 52) ce qu’elle a laissé entendre jusque là. Mais, par pudeur [et aussi par souci, pour Beaumarchais, de respecter la règle de bienséance], elle utilise des périphrases :
– « obtenir de moi secrètement certain quart d’heure, seul à seule » (ll. 52-53) à la place de « obtenir mes faveurs » ;
– « ancien droit du seigneur » (l. 54) à la place de « droit de cuissage ».
 La réponse de Figaro nous apprend que ce droit a été aboli par le comte lorsqu’il a épousé Rosine : nous avons là un des passages qui annoncent la Révolution française : une des futures revendications du Tiers-État y est abordée, l’abolition des droits seigneuriaux.
 La réplique de Suzanne (ll. 58-59) :
– commence par reprendre, par un parallélisme, ce que vient de dire Figaro (« si monsieur le Comte, en se mariant, n’eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t’eusses épousée dans ses domaines », ll.55 à 57 / « s’il l’a détruit, il s’en repent », l. 58) ;
– continue par une phrase emphatique (« et c’est de ta fiancée qu’il veut le racheter en secret aujourd’hui », ll. 58-59), où Suzanne insiste sur l’implication personnelle de Figaro (« ta fiancée », l. 59).
 Cette partie de la scène (ll. 60 à 65) se termine par un badinage plus digne d’une farce (= comique grossier) que d’une comédie (= comique plus recherché) sur le thème populaire des cornes qui poussent sur le front des cocus. Beaumarchais utilise le comique de gestes (« se frottant la tête », l. 60). (...)

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