samedi 7 décembre 2019

cours du samedi 7 décembre: la lettre 81 de Mme de Merteuil à Valmont

Dernier texte du parcours associé sur le roman d'apprentissage, un texte un peu différent qui évoque la façon dont le personnage des Liaisons Dangereuses de Laclos, Mme de Merteuil a procédé à sa propre éducation..

Les liaisons dangereuses: Roman en ligne

L'extrait de la lettre 81 étudiée en classe

Présentation du roman que j'ai montrée en classe

Une lecture analytique qui peut vous aider à retrouver ce que nous avons expliqué ce matin

Travail à faire pour mardi: Rédiger une introduction à l'explication de texte.



Synthèse sur le site Magister:  : https://www.site-magister.com/laclos4.htm#ixzz67QOUWjrU
Madame de Merteuil
 L'évocation d'une société aussi conformiste ne peut devenir matière à roman que par l'intervention de personnages non conformes. C'est le cas de Madame de Merteuil, seul personnage dont on connaisse un peu le passé.
     Le destin de la Marquise sort du modèle commun à partir du moment où elle prend conscience qu'elle est "vouée par état au silence et à l'inaction", et où, au lieu d'accepter passivement cette situation, elle décide "d'en profiter pour observer et réfléchir" (LXXXI). Cette décision a pour elle trois conséquences essentielles. Elle prend d'abord conscience que sa pensée est son seul espace de liberté : "Je n'avais que ma pensée" (...), "dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule".  L'évolution de la Marquise n'a nullement pour origine une perversion, mais la seule volonté d'être elle-même. Ensuite, son observation attentive des propos qu'on lui tient lui permet de discerner qu'on ne lui dit qu'une partie de la vérité. Elle en conclut sagement que ce qu'on lui cache est sans doute le plus intéressant. Enfin, adoptant une démarche volontairement mimétique, elle décide de dissimuler, elle aussi, sa pensée et ses sentiments et s'y exerce par une sorte d'ascétisme qui lui permet de feindre des sentiments alors qu'elle en éprouve d'autres parfaitement opposés. La Marquise, dès lors, avance masquée.
     Lorsqu'elle réfléchit, c'est aux deux sens du mot. Elle réfléchit sur la société. Mais aussi, elle la réfléchit. Sa formation entière est un processus de mimétisme. Sa duplicité n'est que le reflet de la duplicité de son entourage.
     Mais la jeune Marquise va plus loin encore dans le mimétisme conscient. Arrivée à l'âge de quinze ans, âge de s'intéresser "à l'amour et à ses plaisirs", sa curiosité (et elle le précise, sa curiosité seule : "Je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir") l'oriente vers ce nouveau domaine d'investigation. Totalement ignorante, pour s'informer, elle déclare à son confesseur qu'elle a fait "tout ce que font les femmes". Et si le bon Père ne lui apprend rien de précis, du moins, sa réaction scandalisée permet à la Marquise de conclure que "le plaisir devait être extrême". Ainsi, le "Ne fais pas cela" du modèle-obstacle social désigne aux yeux de la jeune fille l'objet de son désir, alors même qu'elle n'en avait encore éprouvé aucun désir physique.
     Dès lors, le destin de la future Madame de Merteuil est tout tracé. Destin mimétique, mais aussi destin exceptionnel. D'une part la Marquise vivra conformément au modèle social ambiant. Mais son originalité extrême sera de chercher à exceller dans les deux conformismes. Malgré son intérêt pour l'amour et ses plaisirs, elle ne veut pas être la simple courtisane qu'elle aurait pu devenir. Elle veut réussir sur les deux tableaux. Elle veut être à la fois un modèle de pruderie et un modèle de libertinage. Elle rivalise donc à la fois avec les femmes et avec les hommes.
     Mais, ayant ainsi édifié une cloison étanche entre les deux parties de sa vie, Madame de Merteuil n'échappe pas pour autant à la loi mimétique qui veut que ce qui n'est pas vu par les autres, ou au moins par un tiers, ce qui n'apparaît pas, n'existe pas. La Marquise existe bien en tant que prude aux yeux de tous, et particulièrement des femmes. Chacun de ses amants, séparément, sait qu'elle est aussi experte en amour ; mais chacun croit avoir été son seul amant ; et les moyens de chantage qu'elle utilise empêchent la divulgation de ses frasques. Mais, si elle ne s'assure pas un confident fiable, tout le monde ignore la véritable nature de la Marquise : son double rôle de libertine déguisée en prude. Tout le monde l'ignore, c'est-à-dire que la Marquise n'existe pas vraiment tant qu'elle n'a pas un témoin de ce qu'elle est au fond d'elle-même, un témoin qui la fera exister vraiment.
     Ce témoin unique, c'est Valmont. C'est là la vraie nature de son attachement pour lui. Un attachement bien plus vital que le désir physique (elle se passe très bien de lui) ou que le sentiment amoureux (dont Madame de Merteuil semble incapable). Valmont lui est tout simplement indispensable parce que c'est lui qui la fait exister. Sans lui, sa pensée profonde, ce qu'elle a de plus intime, perd toute consistance. Malgré ses déclarations sur l'autonomie de sa pensée ("dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule", "je puis dire que je suis mon ouvrage" (LXXXI), déclarations qui montrent que, contrairement à Laclos, la Marquise n'est pas entièrement consciente du mimétisme dans lequel elle vit, elle n'existe vraiment que lorsqu'elle écrit à Valmont. Mais, ce faisant, elle fait de lui le "dépositaire des secrets de (son) cœur", elle se livre à lui plus intimement que si elle accédait aux désirs de Valmont. Et si Valmont est indispensable à sa vie, la Marquise ne peut que le mettre à mort s'il menace de la trahir. On voit ainsi à quel point sa double existence dépend, d'un côté, de l'image trompeuse qu'elle présente à son entourage féminin et à ses amants, de l'autre, de la confiance qu'elle peut avoir en Valmont.
     Situation éminemment instable qui explique la vivacité des réactions de Madame de Merteuil dès qu'elle devine que la relation entre Valmont et Madame de Tourvel est bien autre chose qu'une simple passade : "Je ne m'accoutumerai jamais à dire mes secrets à l'amant de Madame de Tourvel" (V). Il n'y a là aucune jalousie mais la certitude que si Valmont révèle à Mme de Tourvel le double jeu de Mme de Merteuil, celle-ci est perdue. Ajoutons que la liaison entre Valmont et Madame de Merteuil s'établit au moment où la Marquise, lâchée par Gercourt, peut précisément avoir des doutes sur sa valeur profonde (ce qui explique aussi la haine dont elle poursuit son ancien amant). Et que cette liaison s'établit de façon parfaitement mimétique : "Je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation...". Encore une fois, c'est la société qui, par la réputation qu'elle a faite à Valmont, désigne à la Marquise l'objet de son désir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire