Plan de
l’extrait.
Après une
didascalie initiale, la scène, assez longue, s’étale sur 97 lignes et se
décompose en parties :
– ll. 1 à
10 : Une discussion légère entre amoureux ;
– ll. 11 à
22 : Refus de la chambre par Suzanne et incompréhension de Figaro ;
– ll. 23 à
65 : Les raisons du refus de Suzanne ;
– ll. 66 à
78 : Désir de vengeance de Figaro ;
– ll. 79 à
83 : Une épouse délaissée ;
– ll.
83 à 97 : Nouvelle discussion légère entre amoureux.
La
didascalie initiale donne au metteur en scène et aux acteurs des indications
sur le décor et sur les actions des personnages. L'importance accordée par Beaumarchais aux didascalies montrent son souci de la mise en scène.IL écrit pour la représentation, le jeu des acteurs.
Le
décor : nous avons une chambre à demi démeublée (c’est-à-dire qu’il y
manque le lit), au milieu (= endroit important) de laquelle se trouve un
« grand fauteuil de malade », accessoire qui va jouer un rôle
important, notamment à la scène 8 de l’acte I. Interrogation sur le choix de cet élément d'ameublement: qui est malade? L'amour rendrait-il malade? la Comtesse délaissée?
Les
actions des personnages :
– Figaro
mesure la surface du plancher (« Figaro, avec une toise, mesure le
plancher ») ;
– Suzanne
« attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs
d’oranger, appelé chapeau de la mariée ».
Le lieu (une
chambre) et un accessoire, le couvre-chef de Suzanne, connotent le mariage.
Toutefois, l’absence d’un accessoire important dans une chambre de mariés (le
lit conjugal) montre que le mariage n’a pas encore eu lieu malgré le titre de l'ouvrage.
- 1. Une discussion légère entre amoureux : ll. 1 à 10.
L’action
commence in medias res. Figaro est en pleine action : il mesure une
surface, comme l’indique la réplique « Dix-neuf pieds sur vingt-six »
(l. 1), où l’on multiplie (« sur », l. 1) une largeur
(« Dix-neuf pieds », l. 1) par une longueur (« vingt-six »,
l. 1).
S’ensuit
un court dialogue entre Suzanne et Figaro. Le thème en est léger, voire
libertin, puisqu’il est question :
– de la
virginité de Suzanne (« ce bouquet virginal », l. 5) ;
– des appas
de celle-ci (« la tête d’une belle fille », l. 6) ;
– de l’amour
de Figaro (« l’œil amoureux d’un époux », ll. 6-7) ;
– des noces
de Figaro et de Suzanne, qui vont mettre fin à la virginité de celle-ci
(« le matin des noces » l. 6).
Le champ
lexical de la sexualité est dominant : « virginal » (l.
5), « belle fille » (l. 6), « amoureux » (l.
7) ; « époux » (l. 7).
Un échange
de répliques (ll. 9 à 11) nous informe sur ce que fait Figaro : il
mesure si la chambre est assez vaste pour contenir leur lit conjugal, offert
par leur maître, (« Je regarde […] si ce beau lit aura bonne mine
ici », ll. 9 et 10). Nous continuons donc d’être dans le domaine de la
sexualité, puisqu’il s’agit du lit où va se dérouler leur nuit de noces ;
et une certaine ambiguïté est introduite puisque ce lit nuptial est offert par
le compte, qui s’introduit donc ainsi dans l’intimité du couple.
Dans tout
ce passage, les deux personnages apparaissent très proches l’un de
l’autre :
– ils
s’appellent par leurs prénoms (« Figaro », l. 2 ;
« Suzanne », l. 9) ;
–
Suzanne tutoie Figaro (« tu », l. 3) ;
– nous ne
savons pas si Figaro tutoie Suzanne, mais nous pouvons le supposer, puisqu’il
emploie des termes hypocoristiques [= petits mots gentils], quand il s’adresse
à elle (« ma charmante », ll. 4-5 ; « ma petite
Suzanne », l. 9) ;
– celle-ci
emploie également des termes hypocoristiques pour s’adresser à lui (« mon
fils », l. 8).
- 2. Refus de la chambre par Suzanne et incompréhension de Figaro : ll. 11 à 22.
Dans le
passage suivant (ll. 11 à 22), Suzanne refuse le lit offert par le comte, sans
justification malgré la demande pressante d’explications de Figaro.
Cet
échange se fait sur un rythme rapide : les répliques font de deux
(« Pourquoi », l. 14) à neuf syllabes (« Oh ! quand elles
sont sûres de nous ! », l. 20).
Alors que
Suzanne s’adresse toujours à Figaro en le tutoyant, ce dernier la désigne en
employant le pronom personnel indéfini (« On dit une raison »,
l. 18) ou en l’englobant dans l’ensemble de la gent féminine (« Oh !
quand elles sont sûres de nous ! », l. 20). Il s’agit de développer le topos ( cliché)
du caractère capricieux des femmes, popularisé par l’adage attribué au roi
François 1er : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y
fie ».
Suzanne
répond par un paradoxe (« Prouver que j’ai raison serait accorder que
je puis avoir tort », l. 21-22), qui renforce le topos évoqué
précédemment : les femmes sont des créatures irrationnelles.
Pour
finir, elle tente de clouer le bec de Figaro en utilisant un raisonnement par
l’absurde (« Es-tu mon serviteur ou non ? » l. 22), en
s’appuyant sur le code amoureux élaboré au Moyen-Âge, du temps de l’amour
courtois : le chevalier servant doit obéir aveuglément aux ordres de la
Dame de ses pensées et ne jamais la contredire : si Figaro la contredit,
c’est qu’il n’est pas véritablement amoureux d’elle.
Dans ce passage,
Beaumarchais utilise le comique de caractère : Suzanne représente toutes
les femmes et a un défaut qui est censé leur être commun.
- 3. Les raisons du refus de Suzanne : ll. 23 à 65.
Figaro
tente alors de la convaincre, et fait donc appel à un argument logique :
il faut accepter cette chambre à cause de sa commodité (« la chambre du
château la plus commode », ll. 23-24).
À
l’exemple utilisé par Figaro pour illustrer son argument (« La nuit, si
Madame est incommodée, elle sonnera de son côté ; zeste ! en deux
pas, tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose : il n’a qu’à
tinter du sien ; crac ! en trois sauts me voilà rendu », ll. 25
à 28), Beaumarchais fait répondre Suzanne, en utilisant un parallélisme, qui
fait appel au comique de mots, notamment par le réemploi des interjections
« zeste » (l. 30) et « crac » (l. 31), et de l’expression
« en trois sauts » (l. 31) qui, tout en continuant d’évoquer la
rapidité, prennent un sens grivois, sexuel dans ce nouveau contexte.
Un autre
élément comique intervient alors : Figaro, qui a peur d’avoir compris,
demande à Suzanne d’expliciter sa réponse (« Qu’entendez-vous par ces
paroles ? », l. 32), et celle-ci, pour le faire enrager, tarde à lui
donner une réponse qui l’éclaire (« Il faudrait m’écouter
tranquillement », l. 33).
Finalement, Suzanne explicite la situation dans la réplique qui va de la ligne
35 à 42.
– Nous y
apprenons, d’abord, que le personnage appelé « Monseigneur » (l. 10)
est le comte Almaviva, que les spectateurs de l’époque, ou les personnes
cultivées de la nôtre, connaissent pour être un des principaux personnages du Barbier
de Séville.
– Puis
Suzanne répond, avec un air de supériorité, comme le montre l’apostrophe
« mon ami » (l. 35), qui remplace les termes hypocoristiques employés
précédemment. Elle indique que le comte veut tromper sa femme avec elle. Pour
cela, deux procédés d’insistance sont employés :
. un chiasme (« le comte
Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ;
c’est sur la tienne […] qu’il a jeté les yeux »,
ll.36 à 38) ;
. une phrase emphatique (« c’est
sur la tienne […] qu’il a jeté les yeux », ll. 37-38) ;
. une litote (« auxquelles il
espère que ce logement ne nuira point (ll. 38-39).
– Ensuite
est évoqué le personnage de Bazile, qui intervenait aussi dans Le Barbier de
Séville, où il figurait parmi les opposants du jeune couple d’amoureux
formé par le comte Almaviva et Rosine, la future comtesse ; il apparaît,
dans la nouvelle pièce comme dans la précédente, comme un personnage tout à fait
négatif, comme le montrent les procédés suivants, utilisés ironiquement par
Suzanne pour parler de lui :
. l’antiphrase (« le loyal
Bazile », l.39 ; « mon noble maître à chanter ) [dans Le
Barbier de Séville, Bazile fait l’éloge de la calomnie] ;
. l’oxymore (« honnête agent de
ses plaisirs », ll. 39-40) [on ne peut pas être
« honnête », c’est-à-dire, dans le contexte, partisan de la morale,
et aider le comte dans ses desseins immoraux].
La
réplique de Figaro (ll. 42-44) ne s’adresse pas directement à Suzanne, mais est
une menace envers Bazile, absent. Elle utilise le comique de mots à l’aide
des procédés suivants :
–
l’antiphrase employée en apostrophe (« Ô mon mignon », l.
42) : Figaro utilise un terme hypocoristique, qui normalement marque
l’affection, pour mieux faire ressortir son aversion pour Bazile ;
– les
périphrases humoristiques :
. « volée de bois vert, appliquée
sur une échine » (ll.42-43) pour désigner des « coups de
bâton »,
. « redressé la moelle épinière à
quelqu’un » (ll. 43-44) pour dire « frappé le dos ».
Un échange
de courtes répliques (ll. 45 à 51) a lieu.
– Il permet
à Suzanne de se moquer de la naïveté de Figaro :
. elle utilise en apostrophe un terme
condescendant (« bon garçon », l. 45) ;
. elle utilise, pour évoquer le montant
de la dot que lui donne le comte, une question rhétorique (« Tu croyais,
bon garçon, que cette dot qu’on me donne était pour les beaux yeux de ton
mérite ? », ll. 45-46) ;
. elle personnifie le mérite de Figaro
(« les beaux yeux de ton mérite », l. 46).
– Figaro
évoque les événements qui se sont passés dans Le Barbier de Séville :
c’est grâce à lui que le comte a épousé Rosine. Il le fait implicitement
(« J’avais assez fait pour l’espérer », l.47) car le spectateur de
l’époque connaît déjà normalement la première de ces deux pièces.
– Rosine
continue à se moquer de Figaro en élargissant son propos dans un paradoxe qui
vise tous les gens d’esprit (« Que les gens d’esprit sont
bêtes ! », l. 48).
Suzanne
reformule, de la ligne 52 à 54, de façon explicite (« Apprends », l.
52) ce qu’elle a laissé entendre jusque là. Mais, par pudeur [et aussi par
souci, pour Beaumarchais, de respecter la règle de bienséance], elle utilise
des périphrases :
–
« obtenir de moi secrètement certain quart d’heure, seul à seule »
(ll. 52-53) à la place de « obtenir mes faveurs » ;
–
« ancien droit du seigneur » (l. 54) à la place de « droit de
cuissage ».
La réponse
de Figaro nous apprend que ce droit a été aboli par le comte lorsqu’il a épousé
Rosine : nous avons là un des passages qui annoncent la Révolution
française : une des futures revendications du Tiers-État y est abordée,
l’abolition des droits seigneuriaux.
La
réplique de Suzanne (ll. 58-59) :
– commence
par reprendre, par un parallélisme, ce que vient de dire Figaro (« si
monsieur le Comte, en se mariant, n’eût pas aboli ce droit
honteux, jamais je ne t’eusses épousée dans ses domaines », ll.55 à 57 /
« s’il l’a détruit, il s’en repent », l.
58) ;
– continue
par une phrase emphatique (« et c’est de ta fiancée qu’il veut
le racheter en secret aujourd’hui », ll. 58-59), où Suzanne insiste sur
l’implication personnelle de Figaro (« ta fiancée », l. 59).
Cette
partie de la scène (ll. 60 à 65) se termine par un badinage plus digne d’une
farce (= comique grossier) que d’une comédie (= comique plus recherché) sur le
thème populaire des cornes qui poussent sur le front des cocus. Beaumarchais
utilise le comique de gestes (« se frottant la tête », l. 60). (...)
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