mardi 28 avril 2020

Apollinaire, un poète parmi les peintres

Emission de radio :Un poète parmi les peintres





 L’arrivée à Paris d’Apollinaire est marquée par ses rencontres successives avec des peintres qui deviendront les plus célèbres du début du xxe siècle.
Si la première est due au hasard, puisqu’il rencontre Derain et Vlaminck ( Les Fauves) lors d’une promenade au bord de l’eau, les suivantes sont le fruit de sa volonté d’intégrer ce milieu. 

Apollinaire est essentiel dans l’essor du cubisme : c’est lui qui met les peintres en relation, il écrit sur leurs toiles dans plusieurs revues, il va même jusqu’à leur trouver des marchands d’art qui acceptent d’exposer et de vendre leurs tableaux. 

Apollinaire est fasciné par plusieurs artistes appartenant à des mouvements picturaux différents : Matisse, chef de file des fauvistes, le futurisme de Marinetti et son éloge du progrès et de la vitesse, puis, plus tard, les oeuvres de Sonia et de Robert Delaunay, ou encore le surréalisme de De Chirico. Rien d’étonnant à ce que les hommages de ces peintres, en retour, soient nombreux. Picasso a ainsi fait plusieurs portraits de cet ami si cher, mais aussi des illustrations pour ses recueils et, en 1959, il lui dédicace un bronze de Dora Maar. De ces liens très proches naissent de nombreuses collaborations, qui témoignent de la volonté de ces artistes d’abolir les frontières entre les genres artistiques. Le Bestiaire est illustré par Raoul Dufy, et L’Enchanteur pourrissant par des gravures d’André Derain ; Apollinaire écrit des poèmes en hommage à une série de toiles de Robert Delaunay, Les Fenêtres.
Les influences du cubisme dans le recueil Alcools
Si les goûts d’Apollinaire sont variés en matière de peinture, ses liens avec les peintres cubistes sont peut-être les plus importants en ce qu’ils entrent en résonnance avec sa poésie. Il écrit à leur sujet, dans l’article « Les peintres cubistes » publié en 1913 :
« Ces peintres, s’ils observent encore la nature, ne l’imitent plus et ils évitent avec soin la représentation de scènes naturelles observées et reconstituées par l’étude. La vraisemblance n’a plus aucune importance, car tout est sacrifié par l’artiste aux vérités ».
 En effet, le cubisme, loin de représenter la nature de manière figurative, s’emploie à la représenter de manière symbolique et totale. L’important n’est pas la ressemblance, mais les « vérités », celles du regard porté par l’artiste sur le réel. L’esthétique cubiste se fonde sur une exigence de décomposition, de déstructuration du réel, qui peut être vu de tous les points de vue à la fois, comme pour en montrer non pas un point de vue unique, mais toutes les facettes possibles. Les techniques évoluent également, le collage vient accentuer l’idée de décomposition des oeuvres par l’effet de superposition qu’il produit. Ce portrait d'Apollinaire par Picasso est le frontispice de la première édition d'Alcools.


Alcools rend compte de la fascination d’Apollinaire pour ce mouvement, tout d’abord à l’échelle du recueil dans son ensemble. Le recueil contient cinquante-deux poèmes écrits entre 1898 et 1912, mais leur succession ne suit jamais un ordre chronologique, rendant très difficile la compréhension de sa structure. Dans les particularités, on relève que « Zone », le premier poème du recueil, est en réalité le tout dernier poème écrit par Apollinaire. Les poèmes, évoquant fréquemment la vie du poète, font défiler au fil du recueil des villes, des paysages, des atmosphères différentes : Paris, Londres, la Russie, l’Allemagne, l’Amérique, puis de nouveau Paris, et ainsi de suite. De la même manière, les femmes aimées se superposent, et les poèmes alternent entre la rupture avec Annie Playden et celle avec Marie Laurencin, créant à la fin l’image d’une femme aimée unique, quasi universelle. On retrouve dans cette structure (sans vouloir pour autant la plaquer de manières systématique ou dogmatique) l’esthétique cubiste. Le recueil est une déconstruction puis une reconstruction de la vie et des émotions du poète.
 Mais cette influence se retrouve également à l’échelle des poèmes eux-mêmes. En effet, Apollinaire procède à de très nombreux remaniements de ses poèmes, de ses brouillons, en effectuant des « collages » à la façon des peintres cubistes. Par exemple, il tire d’une même esquisse poétique le vers unique de « Chantre » (ce qui explique le « Et » initial qui se rattachait à l’origine à un vers précédent " Et l'unique cordeau des trompettes marines"), et des vers de « Fiançailles », « Le Brasier » et « L’Émigrant de Landor Road » ; de la même manière, le refrain du « Pont Mirabeau » est tiré de la troisième section du poème « À la santé », d’où leur forte ressemblance. Enfin, on peut observer « La Chanson du Mal-Aimé », poème-kaléidoscope qui réunit des formes, des thèmes et des matières totalement différentes.

Pour répondre à la question sur les rapports entre Apollinaire et la peinture, il faut penser aussi au fait que Marie Laurencin était une femme peintre. Le poème "Crépuscule" lui est dédié. "
Les Fiançailles "est dédié à Picasso.Le poème "Saltimbanques" ( artistes de cirque) rappelle d'ailleurs cette inspiration dans certains tableaux de Picasso.


Ne pas oublier non plus qu'Apollinaire sera le créateur des Calligrammes ( c'est lui qui a inventé le terme à partir de calligraphie ( belle écriture) et de idéogramme ( lettre formée par un dessin) IL dira d'ailleurs à ce propos: "Et moi aussi je suis peintre." ( voir le recueil avec la transcription des textes: Les Calligrammes) La disposition sur la page du poème "Automne malade" annonce déjà les calligrammes.

sur les calligrammes (video)











Travail à faire pour la semaine: réaliser la fiche de présentation de l'oeuvre que vous avez choisi d'exposer dans la 2ème partie de l'oral

Vous devez choisir soit une oeuvre que nous avons étudiée en oeuvre intégrale: Le Rouge et Le Noir, Le Mariage de Figaro, Alcools ou une oeuvre que vous avez lue en lecture cursive parmi celles que j'avais suggérées.

Dans un article précédent , je vous ai dit ce qui était évalué et comment vous pouvez préparer cet exposé. Envoyez moi votre fiche de présentation cette semaine ( au plus tard samedi 2 mai) pour que je puisse vous aider à l'améliorer et à la valider.

lundi 27 avril 2020

Question 3 " J'émerveille" devise d'Apollinaire

Apollinaire n'est pas seulement émerveillé par la beauté du monde et des femmes, il est celui qui par la poésie à le pouvoir d'émerveiller: il faut s'interroger sur le comment son écriture peut créer "la merveille". C'est largement lié à la capacité de la métaphore qui transforme  le monde: la Tour Eiffel devient par son pouvoir une "bergère" par exemple, le soleil "cou coupé" offre à la fois une personnification de l'astre en guillotiné et une image plastique un peu comme le drapeau japonais rouge sur fond blanc vu en coupe. Le mieux serait que chacun d'entre vous se trouve des exemples d'images qui vous ont étonnés.

Apollinaire lui-même pour définir son "esprit nouveau" a parlé d'esthétique de la surprise:


Apollinaire : une esthétique de la surprise

La surprise, ressort de l’Esprit nouveau :

Conférence sur l’Esprit Nouveau en 1917 : «  L’esprit nouveau est également dans la surprise. C’est ce qu’il ya en lui de plus vivant, de plus neuf. C’est par la surprise, par la place importante qu’il fait à la surprise que l’esprit nouveau se distingue de tous les mouvements artistiques et littéraires qui l’ont précédé. »

Alcools peut être considéré comme une sorte de manifeste de l’esthétique de la surprise, constitutive de l’art moderne, comme l’illustrent à la même époque les arts plastiques et les peintres amis d’Apollinaire.
- la recherche de la variété : diversité de formes poétiques, apparence disparate de la composition. Innovations formelles se mêlant à des réminiscences de la tradition poétique et à une inspiration pétrie de références livresques et de mythologie antique, chrétienne et germanique.
Apollinaire souhaitait que ses lecteurs soient aussi diversifiés que ses poèmes en accord avec son goût pour l’éclectisme : « Je voudrais qu’aimassent mes vers un boxeur nègre américain, une impératrice de Chine, un journaliste boche, un peintre espagnol, une jeune femme de bonne  race française, une jeune paysanne italienne et un officier anglais des Indes. ( in Lettres à sa marraine)

-Juxtaposition des registres : effet de surprise lié au constant mélange des niveaux de langue, des types d’énoncé et des registres qui créent de l’humour parfois et des ruptures de ton : par exe ; sacré qui se même au profane dans « Zone » : le christ premier aviateur. Termes empruntés au langage courant, voire trivial côtoient des mots savants et recherché témoignant de l’érudition d’Apollinaire : ex dans La Chanson du mal aimé : « Et moi j’ai le cœur aussi gros/ qu’un cul de dame damascène/O mon amour je t’aimais trop/ et maintenant j’ai trop de peine/ Les sept épées hors du fourreau »
Ou dans Palais :  « Dames de mes pensées au cul de perles fines/Dont ni perle ni cil n’égale l’orient » ex de mélange burlesque des registres : le lyrisme, l’élégie et sa mélancolie se trouvent ainsi ponctués de touches de fantaisie et d’humour. Dans « Salomé « par exemple l’évocation tragique de l’épisode biblique de la décapitation de Saint jean Baptiste à cause de la demande de Salomé se clôt par une strophe qui ressemble à une comptine déjantée et contribue à désacraliser le mythe. : «  Sire marchez devant trabants marchez derrière/ Nous creuserons un trou et l’y enterrerons/Nous planterons des fleurs et danserons en rond/ Jusqu’à l’heure où j’aurais perdu ma jarretière/ le roi sa tabatière/L’infante son rosaire/Le curé son bréviaire

Le principe de discontinuité : Apollinaire introduit des effets de discontinuité non seulement d’un poème à l’autre de son recueil ( un poème long, puis court) mais aussi à l’intérieur des poèmes eux-mêmes et même de certains vers.Il pratique une sorte d’esthétique du collage sans lien logique manifeste. Un très bon exemple est le poème « 1909 » à relire ou « Le Voyageur ».
Divers procédés de discontinuité : énumération hétéroclite : cf vers 161 à 165 dans Vendémiaire, fragmentation de la syntaxe soulignée par l’absence de ponctuation : » Soleil cou coupé », fréquence de l’asyndète donc ( figure d style : Les éléments apparaissent les uns à la suite des autres, au sein de propositions ayant des relations logiques entre elles mais sans liens, en étant simplement juxtaposés, de façon volontaire, c'est-à-dire dans un but stylistique.), montage ou « collage » polyphonique d’énoncés différents, poèmes conversations comme « Les femmes ou la dernière séquence du « Brasier »

Des images insolites : comparaisons et métaphores qui provoquent des surprises, changent notre regard sur le monde : « Soleil cou coupé » « Mains feuilles de l’automne » Bergère o Tour Eiffel, ce matin les ponts bêlent etc  L’humour accompagne souvent des rapprochements audacieux : « C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat » « Les Fiançailles ». ( Trouvez quelques exemples personnels dans l’oeuvre qui vous ont particulièrement frappé.)

La deuxième chose que vous pouvez évoquer est que la notion de "merveille" renvoie en littérature au merveilleux des contes de fée, or plusieurs poèmes évoquent les thèmes de la sorcellerie, du chant qui a des pouvoirs magiques comme celui du batelier dans Nuit-Rhénane ou celui de la Loreley. Il y a le poème "Merlin et la vieille femme", les ombres qui rôdent. Parfois une atmosphère surnaturelle  qui s'installe. La description du réel ou les scènes quotidiennes glissent souvent vers le fantastique: c'est le cas de Nuit Rhénane poème dans lequel le Rhin lui-même devient ivre. On peut penser aussi au poèmes Les sapins dans lequel les sapins sont personnifiés et deviennent des personnages. Pensez aussi à la mort qui hante les conversations anadines des villageoises dans "Les femmes ".
Certains poèmes ont des allures de rêves ou de contes fantastiques comme la Maison des morts. Le poète a des pouvoirs de voyance qui métamorphose la réalité par ex dans le poème Les Fiançailles: "Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes".

Le pouvoir d'émerveiller est aussi tributaire de l'envoutement opéré par les mots et par la musicalité de leur assemblage: incanter signifie chanter pour obtenir un effet magique. une poésie incantatoire est une poésie qui a un pouvoir magique. La présence des chansons dans le recueil est importante et beaucoup de poèmes ont été mis en musique comme Le Pont Mirabeau.
 Apollinaire utilise énormément le principe du refrain , de la répétition:
- à l'intérieur d'un vers par ex cf dans" Salomé " Mon coeur battait battait très fort à sa parole" ou dans "Automne" ( Oh! l'automne l'automne a fait mourir l'été." ( effet d'insistance, d'intensité),
-par des anaphores ( répétition des mêmes mots en début de vers): ex. répéition de "Cest" dans "zone" ou "Ni" dans "Poème lu au Mariage d'André Salmon."
- par des allitérations, des répétitions de sonorités: "Et je m'éloignerai m’illuminant au milieu d'ombres" dans "Cortège", assonances: "L'amour lourd comme un ours privé/Dansa debout quand nous voulûmes" dans "La Tzigane" Harmonie imitative: Les poules dans la cour caquètent" dans "la Chanson du Mal aimé"
Apollinaire est fascine par la magie des mots et parfois il propose des jeux sur les homonymes et les calembours: une équivoque permet ainsi de comparer l'amour à un jeu de hasard ( la mourre) dans les vers suivants:" L'amour jeu des nombrils ou jeu de la grande oie/ la mourre jeu du nombre illusoire des doigts"dans "L'Ermite", de même rime équivoquée dans Le Pont Mirabeau: Comme la vie est lente/ et comme l'espérance est violente"

Sur le titre Alcools et la notion d'ivresse poétique



Pour comprendre le choix du titre Alcools, il faut faire appel à sa culture générale :

Le Thème de l’ivresse poétique

Il est lié à la façon dont on concevait la poésie déjà dans l’Antiquité  et qui a perduré :

La poésie de l’Antiquité est par essence liée aux Muses, les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne, qui président aux neuf arts : à Calliope, la poésie épique ; Clio, l’histoire ; Polymnie, la pantomime et la poésie lyrique ; Euterpe, la flûte et le dithyrambe ; Terpsichore, la poésie légère et la danse ; Érato, le chant choral et l’élégie ; Melpomène, la tragédie ; Thalie, la comédie ; et à Uranie, l’astronomie.
Cependant, trois autres figures mythologiques sont reliées à ces Muses et se trouvent aux origines de trois formes distinctes de poésie : Orphée, Apollon et Dionysos.

Orphée, le coeur   Apollon, l’esprit , Dionysos, la fureur de l’inspiration

Sources de la poésie :
La lyre est l’instrument sur lequel Orphée chante ses émotions et charme le monde qui l’entoure. À la mort d’Eurydice, cette poésie devient l’expression des regrets, de la nostalgie et du temps qui passe.

Apollon est le dieu du soleil, de la connaissance, de la divination. Liée aux mystères de l’orphisme, la poésie
apollinienne tente à la fois de percer et de dire les secrets du monde et du langage. Elle préside à l’harmonie de la belle forme.

Dionysos, entouré de ses bacchantes, est à l’origine d’une poésie mystique , désordonnée, frappée par la folie et la démesure. C’est la poésie de l’ivresse– ou du désir d’ivresse.

Buts de la poésie  selon ces trois pôles :
-Susciter des sentiments, émouvoir, séduire, déplorer. (Orphée)
Dans Alcools : Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent
(« Cors de chasse »)

Déchiffrer le monde, en révéler les mystères, inciter à la réflexion.(Apollon) : J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries/ Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât
(« Descendant des hauteurs »)

Provoquer, frapper les esprits, atteindre des mondes nouveaux.(Dionysos)
Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers
(« Vendémiaire»)

Quatre questions auxquelles vous pouvez tenter de répondre avant de lire les réponses: Travailler toujours le cours avec le recueil Alcools à côté de vous pour pouvoir relire les passages dont il est question.
 

1. Le recueil Alcools devait initialement s’intituler Eau-de-vie.
Quelle différence voyez-vous entre ces deux titres ?

1. Avant 1910, le titre prévu pour le recueil était Eau-de-vie. C’est seulement 2 ans avant les premiers manuscrits qu’Apollinaire le change en Alcools. Le premier titre choisi est intéressant en ce qu’il lie immédiatement l’alcool à la vie, et c’est d’autant plus pertinent pour un recueil qui, comme le sous-titre initial l’indique, rassemble les poèmes écrits entre 1898 et 1912, soit 14 ans d’écriture poétique. C’est bien une large partie de la vie du poète qui est au fondement de ce recueil, tant par les références constantes aux diverses aventures d’Apollinaire que par le retour sur l’enfance présent dans plusieurs poèmes. Le titre Eau-de-vie insistait donc sur un aspect autobiographique – et trop, peut-être, puisque Apollinaire le change. Le substantif « alcools » a tout d’abord un
sens moins positif, le terme de « vie » annonçant d’emblée l’élan vital. Plus neutre, il est aussi plus ambigu, et correspond sans doute davantage aux deux élans du recueil, la mélancolie et l’élan vers le futur. Le choix du pluriel doit aussi être interrogé : les alcools, cela renvoie de manière plus large à tous les poètes de l’ivresse,du vin : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé... Enfin, alors que le mot « eau-de-vie » n’évoque qu’un seul type d’alcool très précis, « alcools », plus générique, inclut l’alcool le plus présent dans les poèmes d’Apollinaire, le vin. Les références à la vigne sont constantes, tant dans le titre « Vendémiaire », le mois des vendanges du calendrier révolutionnaire, que dans les « vignes » souvent évoquées, comme dans les « vignes vierges » de « Mai ». Le vin, le pampre ( la grappe de raisin), ce sont les attributs de Dionysos, et cette référence à l’Antiquité fait partie de l’héritage poétique d’Apollinaire.

2. 2. À la fin du poème « Zone », le thème de l’alcool est présent. À quelle autre métaphore l’image de l’alcool est-elle liée ? Quel effet cette juxtaposition des deux thèmes crée-t-elle ? S’agit-il d’un alcool triste ou heureux ?

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie », écrit Apollinaire à la fin de « Zone ».
Le parallélisme et le jeu des deux comparaisons successives liées par l’anadiplose (la reprise du dernier mot d'une phrase (d'un vers) au début de la phrase qui suit)

la reprise du dernier mot d’une phrase (d’un vers ou d’une proposition) au début de la phrase qui suit.
Lire la suite sur : https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/anadiplose.php
la reprise du dernier mot d’une phrase (d’un vers ou d’une proposition) au début de la phrase qui suit.
Lire la suite sur : https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/anadiplose.php
permettent de tracer deux équivalences. Ce qui rapproche tout d’abord la vie et l’alcool est le fait qu’ils soient tous deux « brûlant[s] », adjectif qui annonce l’apparition finale du soleil dans le poème. Et justement, cette brûlure est douloureuse : c’est
celle des nuits à parcourir seul les rues, celle de la fréquentation des prostituées, celle de l’insomnie, celle des émigrés pauvres et des quartiers mal famés, de la pauvreté... Le deuxième rapprochement est le fait de « boire » sa vie à la manière d’un alcool fort : vite, à grande gorgées, cul sec. Non pas en prenant le temps de la déguster, mais dans une urgence permanente, ou également dans l’idée de tout tenter, tout faire, sans aucune prudence ou aucun juste milieu. Ainsi, les soirs de Paris sont « ivres du gin flambant de l’électricité » dans « La Chanson du Mal-Aimé », associant de manière identique à « Zone » les flammes et le « gin ». L’alcool, ici, ne semble pas heureux. Il est celui où le poète noie son désespoir, celui que prennent les gens qui veulent échapper à leur vie
miséreuse. C’est l’alcool des « nuits livides de l’alcool » dans « Le voyageur », de l’« auberge triste » du même poème, des « auberges grises » de « Saltimbanques ». C’est aussi l’image, dans « Mes amis m’ont enfin avoué... », des « croque-morts avec des bocks [qui] tintaient des glas ». Le vin triste, refuge illusoire contre la douleur et
la mélancolie.


3. « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire », écrit le poète dans « Nuits rhénanes ». Trouvez une réécriture de ce vers dans « Poème pour le mariage d’André Salmon ». Quelle nouvelle connotation le thème de l’alcool prend-il dans ces deux vers ?


3. Dans « Poème lu au mariage d’André Salmon », le poète dit : « Les verres tombèrent se brisèrent / Et nous apprîmes à rire ».
L’alcool, ici, est celui partagé pour la première fois entre Guillaume Apollinaire et son ami André Salmon, dans un « caveau maudit ». Au vers précédent, les verres leur jettent « le dernier regard d’Orphée», celui qui les fait disparaître, ou du moins fait disparaître ceux qu’ils étaient avant cette rencontre. Comme après une renaissance,
ils partent, ensemble, « pèlerins ». Cet alcool est donc bien plus positif que le précédent : sorte d’élixir magique, il fait naître le « rire » lorsqu’il se brise, à la manière du verre brisé dans « Nuits Rhénanes », « dans un éclat de rire ». Dans ces deux poèmes, Apollinaire joue sur les deux sens du mot « éclat », soit morceau effilé de
verre, soit large bruit d’un rire fort. Le verre est ici joyeux lorsqu’il est brisé, dans une ivresse heureuse. Ainsi, du rire du poète qui « pétille » dans « Zone », comme un vin mousseux, ou de la dame en « ottoman violine », couleur lie-de-vin, de « 1909 » : « elle riait elle riait ».

4. Relisez la fin de « Vendémiaire », du vers 113 à la fin. De quoi le vin est-il le symbole ? Comment est-il lié à l’écriture poétique, notamment dans les 14 derniers vers ?


4. Le poème « Vendémiaire » fonctionne, à bien des niveaux, en diptyque avec « Zone ». C’est notamment le cas pour le thème de l’alcool, présent dans les deux poèmes de manière tout à fait opposée. Dans « Zone », le poète boit seul son « eau-de-vie », qui le brûle, le ronge. Dans « Vendémiaire », on passe de l’alcool fort au vin, première étape vers une image plus positive de l’ivresse, car plus symbolique. La vigne, c’est la nature féconde et bienfaisante, mais aussi le cycle des ans, à l’image des vendanges évoquées dans le titre, qui reviennent chaque année à la même période. Le poète solitaire devient à la fin du recueil le « gosier de Paris », « ivre d’avoir bu tout l’univers ». Loin du poète maudit du premier poème, il est le chantre de la capitale dans ll'image du « gosier » qui renvoie tout autant à la voix qu’à la boisson. Et surtout, l’ivresse est devenue la métaphore de la création poétique : « Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie », étendue à l’univers tout entier (« boire tout l’univers »). Apollinaire-Dionysos semble, à l’issue de ce recueil, avoir retrouvé son désir de conquérir le monde et la
poésie, dont il est le réceptacle et le créateur