L’arrivée à Paris d’Apollinaire
est marquée par ses rencontres successives avec des peintres qui deviendront
les plus célèbres du début du xxe siècle.
Si la première est due au hasard, puisqu’il rencontre Derain et
Vlaminck ( Les Fauves) lors d’une promenade au bord de l’eau, les suivantes
sont le fruit de sa volonté d’intégrer ce milieu.
Apollinaire est essentiel dans
l’essor du cubisme : c’est lui qui met les peintres en relation, il écrit sur
leurs toiles dans plusieurs revues, il va même jusqu’à leur trouver des marchands
d’art qui acceptent d’exposer et de vendre leurs tableaux.
Apollinaire est
fasciné par plusieurs artistes appartenant à des mouvements picturaux
différents : Matisse, chef de file des fauvistes, le futurisme de Marinetti et
son éloge du progrès et de la vitesse, puis, plus tard, les oeuvres de Sonia et
de Robert Delaunay, ou encore le surréalisme de De Chirico. Rien d’étonnant à
ce que les hommages de ces peintres, en retour, soient nombreux. Picasso a ainsi
fait plusieurs portraits de cet ami si cher, mais aussi des illustrations pour ses recueils et, en 1959, il lui dédicace un bronze de Dora
Maar. De ces liens très proches naissent de nombreuses collaborations, qui
témoignent de la volonté de ces artistes d’abolir les frontières entre les
genres artistiques. Le Bestiaire est illustré par Raoul Dufy,
et L’Enchanteur pourrissant par des gravures d’André
Derain ; Apollinaire écrit des poèmes en hommage à une série de toiles de
Robert Delaunay, Les Fenêtres.
Les influences du cubisme dans le recueil Alcools
Si les goûts d’Apollinaire sont variés en matière de peinture, ses
liens avec les peintres cubistes sont peut-être les plus importants en ce
qu’ils entrent en résonnance avec sa poésie. Il écrit à leur sujet, dans
l’article « Les peintres cubistes » publié en 1913 :
« Ces peintres, s’ils observent
encore la nature, ne l’imitent plus et ils évitent avec soin la représentation
de scènes naturelles observées et reconstituées par l’étude. La vraisemblance
n’a plus aucune importance, car tout est sacrifié par l’artiste aux vérités ».
En effet, le cubisme, loin de représenter la nature de manière figurative, s’emploie à la représenter de manière symbolique et totale.
L’important n’est pas la
ressemblance, mais les « vérités
», celles du regard porté par l’artiste sur le réel. L’esthétique cubiste se
fonde sur une exigence de
décomposition, de déstructuration du réel, qui peut être vu de tous les points de vue à la fois, comme pour
en montrer non pas un point de vue unique, mais toutes les facettes possibles.
Les techniques évoluent également, le collage vient accentuer l’idée de
décomposition des oeuvres par l’effet de superposition qu’il produit. Ce portrait d'Apollinaire par Picasso est le frontispice de la première édition d'Alcools.
Alcools rend compte de la fascination d’Apollinaire pour ce mouvement,
tout d’abord à l’échelle du recueil dans son ensemble. Le recueil contient cinquante-deux
poèmes écrits entre 1898 et 1912, mais leur succession ne suit jamais un ordre chronologique,
rendant très difficile la compréhension de sa structure. Dans les
particularités, on relève que « Zone », le premier poème du recueil, est en
réalité le tout dernier poème écrit par Apollinaire. Les poèmes, évoquant
fréquemment la vie du poète, font défiler au fil du recueil des villes, des
paysages, des atmosphères différentes : Paris, Londres, la Russie, l’Allemagne,
l’Amérique, puis de nouveau Paris, et ainsi de suite. De la même manière, les
femmes aimées se superposent, et les poèmes alternent entre la rupture avec
Annie Playden et celle avec Marie Laurencin, créant à la fin l’image d’une
femme aimée unique, quasi universelle. On retrouve dans cette structure (sans
vouloir pour autant la plaquer de manières systématique ou dogmatique) l’esthétique
cubiste. Le recueil est une déconstruction puis une reconstruction de la vie et
des émotions du poète.
Mais cette influence se
retrouve également à l’échelle des poèmes eux-mêmes. En effet, Apollinaire
procède à de très nombreux remaniements de ses poèmes, de ses brouillons, en
effectuant des « collages » à la façon des peintres cubistes. Par exemple, il tire
d’une même esquisse poétique le vers unique de « Chantre » (ce qui explique le
« Et » initial qui se
rattachait à l’origine à un vers précédent " Et l'unique cordeau des trompettes marines"), et des vers de « Fiançailles », «
Le Brasier » et « L’Émigrant de Landor Road » ; de la même manière, le refrain
du « Pont Mirabeau » est tiré de la troisième section du poème « À la santé », d’où
leur forte ressemblance. Enfin, on peut observer « La Chanson du Mal-Aimé », poème-kaléidoscope qui réunit des formes, des thèmes
et des matières totalement différentes.
Pour répondre à la question sur les rapports entre Apollinaire et la peinture, il faut penser aussi au fait que Marie Laurencin était une femme peintre. Le poème "Crépuscule" lui est dédié. "
Les Fiançailles "est dédié à Picasso.Le poème "Saltimbanques" ( artistes de cirque) rappelle d'ailleurs cette inspiration dans certains tableaux de Picasso.
Ne pas oublier non plus qu'Apollinaire sera le créateur des Calligrammes ( c'est lui qui a inventé le terme à partir de calligraphie ( belle écriture) et de idéogramme ( lettre formée par un dessin) IL dira d'ailleurs à ce propos: "Et moi aussi je suis peintre." ( voir le recueil avec la transcription des textes: Les Calligrammes) La disposition sur la page du poème "Automne malade" annonce déjà les calligrammes.
sur les calligrammes (video)

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