L’organisation du recueil Alcools : parcours des thèmes.
Itinéraire d’une renaissance.
La succession des textes n’est pas le fait du hasard, elle
est porteuse d’un sens qui peut éclairer le lecteur. IL faut que vous relisiez
le recueil à la lumière de mes explications.
Pourtant les poèmes écrits entre 1898 et 1912 ne sont pas
dans leur ordre de composition. Le recueil s’ouvre sur un poème qui chante la
lassitude du « monde ancien » et s’achève sur un hymne à la création
poétique qui revendique comme sienne toute la culture du monde et célèbre la
soif d’un univers nouveau.( Vendémiaire)
1.
De la douleur d’amour à la destinée
poétique.
A.
Le
premier poème « Zone » est l’énoncé d’un art poétique : il
peut se lire comme un manifeste esthétique soucieux de rendre compte du
parti-pris de modernité de l’écriture : « A la fin tu es las de ce
monde ancien »
Il permet aussi de montrer que l’inspiration
poétique s’alimente au cours mouvants des souvenirs : « ET tu recules
aussi dans ta vie lentement » et que la confidence lyrique prendra souvent
les teintes de la mélancolie : « Tu as fait de douloureux et de
joyeux voyages »
Le poème propose aussi une
écriture soucieuse de renouveau, marchant à la rencontre du chant nostalgique
et meurtri de la vie, mais pour le régénérer. Ainsi ce premier poème semble
annoncer le mouvement de l’ensemble du recueil.
B. le thème de la fuite du temps, de l’infidélité de la femme et de la
douleur d’aimer :
Un premier cycle ( Le Pont Mirabeau,
la Chanson du Mal Aimé, Les Colchiques) s’organise autour du voyage dans le
temps et d’une errance dans la douleur d’amour qui fait de la femme une figure
ambiguë d’ivresse fascinante et de poison mortel : « Voie lactée O sœur
lumineuse (…)/Nageurs morts suivront nous d’ahan/Ton cours vers d’autres nébuleuses « ( la Chanson du mal Aimé)
2ème série : Palais,
Chantre, Crépuscule, Annie, la Maison des Morts, Clotilde
A l’empoisonnement morbide de l’amour,
répond l’effusion onirique et imaginaire et, dans les palais du rêve, vivants
et morts se prodiguent des serments éphémères, plus vrais que ceux du faux
amour : « Les amoureux s’entraiment(…)/ Les morts avaient
choisi les vivantes/ et les vivants/Des mortes. » ( la maison des morts)
Mais la réalité de la mélancolie
et du dédain contraint le poète à poursuivre plus loin son idéal : « Passe
il faut que tu poursuives/Cette belle ombre que tu veux » ( Clotilde)
C. Le poète et l’homme ne se définissent que
par le voyage et l’errance : série Cortège, Marizibill, le Voyageur, Marie,
la Blanche Neige, Poème lu au mariage d’André Salmon, L’Adieu
La fuite du temps, l’infidélité des êtres
conduisent l’artiste à la recherche douloureuse de son identité et au constat
de la seule réalité des choses : l’errance. En abandonnant à son ami Salmon la réalisation de l’amour heureux,
le poète dit un adieu définitif au rêve sentimental et de Salmon à Salomé n’accepte
de renaitre que dans le feu et le sang de la Poésie : « Je ne vis que
passant ainsi que vous passâtes » ( Cortège), » La vie est variable
aussi bien que l’Euripe » ( Le Voyageur) « Ni même on renouvelle le
monde en reprenant la Bastille/ je sais que seuls le renouvellent ceux qui sont
fondés en poésie » ( Poème lu au mariage d’André Salmon)
2. Le difficile chemin
de la quête poétique
A. la quête de l’idéal poétique à travers des figures mythiques de l’aventure//série :
Salomé, la Porte, Merlin et la Vieille femme, Saltimbanque, Le Larron
Salomé ( autant dire la femme)
enterre saint Jean Baptiste ( dont le surnom est saint Jean Bouche d’or autant
dire le poète), autrefois prophète miraculeux puisque dans la Bible il annonce
la venue du Christ, tout comme la femme infidèle conduisit à la mort le poète-amant
des textes précédents. ( Apollinaire s’identifie aux héros des mythes et ces
derniers en même temps lui permettent de transfigurer sa situation en situation
universelle et partageable)
Abandonné et moribond, le poète commence sa renaissance par la conscience douloureuse de l’incertitude : « J’entends mourir et remourir un chant lointain/Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille » La Porte
Abandonné et moribond, le poète commence sa renaissance par la conscience douloureuse de l’incertitude : « J’entends mourir et remourir un chant lointain/Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille » La Porte
Sous la figure de Merlin L’enchanteur,
le poète qui sacrifie l’Amour à la mémoire de l’Amour rejoint en promesse les
chants mélodieux d’Orphée : « la dame qui m’attend se nomme Viviane (…)Je
m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs ; » Merlin et la Vieille dame
Le poète, homme du voyage et de
la douleur, voleur de mots qui ne surent pas convaincre, abandonné au seul
recours de la religion, part au moins sur la route à la rencontre de nouveaux
fruits : « Va-t-en errer crédule et roux avec ton ombre (…)/Tu n’as
de signe que le signe de la croix » ( Le Larron)
B .Les dangers qui menacent le poète : solitude, mort, amour
série Le Vent nocturne, Lul de Faltenin, la Tzigane, L’ermite
-Solitude et mort de l’inspiration :
« C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé » Le Vent Nocturne
-Obsession de l’amour et
tentation de la perdition : …j’attends qu’elle les dresse/ les mains
énamourées devant moi l’Inconnue » L’Ermite
-Charmes dangereux des paroles illusoires
et mortelles des sirènes, femmes et rivales en poésie :
Sirènes, j’ai rampé vers vos/
Grottes ( …)ET j’écoutais ces chœurs rivaux ( Lul de Faltenin)
C. Le feu symbolique de la purification :
série Automne, L’Emigrand de Lander Road, Rosemonde, le Brasier
En acceptant d’entrer dans l’automne de la
solitude et en sachant s’éloigner des souvenirs obsessionnels, le poète se
purifie par le feu de l’oubli et se déprend de l’angoisse des souvenirs maudits : « Oh ! l’automne
l’automne a fait mourir l’été ( Automne)
Par l’exil il échappe aux obsessions :
Gonfle-toi vers la nuit ö mer ( L’Emigrant de lander road)
Par le feu le passé s’abolit :
J’ai jeté dans le noble feu/ Que je
transporte et que j’adore (…)ce passé têtes de morts/ Flamme je fais ce que tu
veux ( Le Brasier)
D. Un ultime écho des souvenirs ( Rhénanes)
Les échos réalistes et mélancoliques d’une
saison et d’un lieu d’amour que le feu du brasier à revivifiés avant que le
poète ne s’en détache. Ces poèmes particulièrement complexes d’Alcools
acceptent la ligne directrice progressive et difficile de la renaissance du
poète, phénix qui revit au milieu des cendres de la solitude et de son passé
amer. Les masques divers de la légende et le recours aux symboles multiples
permettent à l’artiste de dérouler la ronde de ses tourments et de ses
obsessions que seul le feu de la création et l’ivresse de la poésie peuvent
apaiser. Le poète évolue de la plainte lyrique
à une ambition plus universelle, devenir l’homme du beau et du Vrai.
III De la connaissance de soi à la
connaissance du monde.
Les poèmes qui achèvent le recueil présentent deux thèmes essentiels :
1. Série 1909, Automne malade, Hôtels :
Apollinaire confirme sa vision du monde et de l’homme : incertitude
et précarité dominent les sentiments, les souvenirs d’amour engendrent des
souffrances que rien n’apaisent et le monde est à l’image de la tour de Babel
dans laquelle les êtres errent incompris et solitaires. Mais le poète fonde
aussi la dignité de la poésie : voyageur mélancolique dans le cours du
temps et des émotions, le poète, dans l’ivresse des mots, les enchantements des
images nocturnes et sous l’impulsion de ses rêveries peut accéder à la connaissance
universelle des choses, des êtres et des lieux.
2. Vendémiaire : le dernier poème
au titre symbolique de mois révolutionnaire évoque l’issue de e parcours qui intègre toutes les expériences
et tous les souvenirs. L’écriture est moyen d’accès à la connaissance, figure
de ce qui reste la part active de l’homme : la surprise, l’ivresse, l’instantané,
l’émotion, le souvenir.
« Actions belles journées sommeils terribles/végétations
accouplements musiques éternelles/Mouvements adorations douleur divine/Mondes
qui vous ressemblez et qui nous ressemblez/ Je vous ai bus et ne fus pas
désaltéré/
Mais j’ai connu dès lors
quelle saveur a l’univers ( Vendémiaire)
Conclusion: Itinéraire allant d’un
pessimisme existentiel à un optimisme artistique en passant par des étapes
contradictoires et plusieurs fois alternées : évocations d’un monde en
perpétuel devenir où le regret , le désespoir, le suicide guettent l’homme et
les actes de foi en la poésie qui seule renouvelle le monde.
Vendémiaire le dernier
poème a été composé 3 ans avant « Zone » qui ouvre le recueil.
M’œuvre entremêle arts
poétiques et poèmes élégiaques, évocations des amours passé et hymnes au
renouvellement.
Certains ont parlé d’architecture cubiste – même si Apollinaire n’aimait pas
que l’on emploie le mot pour la poésie, il préférait simultanéisme. parce qu’Apollinaire
fait alterner les points de vue, les émotions contradictoires, morcelle ses
évocations d’expériences et de choses vues, les actes de foi. Il cherche à
créer par juxtaposition de fragments un sensibilité et un regard neuf chez le
lecteur, selon le principe du collage. ( Ex de la métaphore : soleil cou
coupé)
Symétrie en miroir : de part et d’autre d’un axe, éléments qui se
répondent ou s’opposent terme à terme : ex Zone- Vendémiaire, Le Pont
Mirabeau- Automne malade, la Chanson du Mal Aimé- A la Santé, Les
colchiques-1909, Palais-Clair de Lune, Cortège-Les Fiançailles…
Le poème qui serait alors
central en fonction de pivot serait Le Brasier qui met en œuvre le thème du feu
instrument de mort symbolique du héros qui renaît purifié du bûcher de son
passé et accède à la création poétique dont le feu est aussi le symbole. Cf aussi
l’image du phénix.
Circularité : Alcools s’ouvre sur le mot « fin » « A
la fin tu es las de ce monde ancien » et s’achève sur l’image de la
naissance du jour dans vendémiaire : « Les étoiles mouraient le jour
naissait à peine »
Dénouement qui évoque un
commencement. Schéma que l’on retrouve pour la Chanson du Mal Aimé et pour Zone :
celui par lequel la fin d’une œuvre renvoie à son début qui paraît logiquement
s’enchaîner avec elle cf aussi grands cycles naturels du jour et de la nuit, celui
des saisons, éternel recommencement, éternel retour des interrogations,
caractères toujours provisoire des solutions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire