lundi 6 avril 2020

La structure du recueil Alcools: à apprendre ( cours que j'aurais fait le mardi 7 avril)


L’organisation du recueil Alcools : parcours des thèmes. Itinéraire d’une renaissance.

La succession des textes n’est pas le fait du hasard, elle est porteuse d’un sens qui peut éclairer le lecteur. IL faut que vous relisiez le recueil à la lumière de mes explications.
Pourtant les poèmes écrits entre 1898 et 1912 ne sont pas dans leur ordre de composition. Le recueil s’ouvre sur un poème qui chante la lassitude du « monde ancien » et s’achève sur un hymne à la création poétique qui revendique comme sienne toute la culture du monde et célèbre la soif d’un univers nouveau.( Vendémiaire)

1.       De la douleur d’amour à la destinée poétique.
A.      Le premier poème « Zone » est l’énoncé d’un art poétique : il peut se lire comme un manifeste esthétique soucieux de rendre compte du parti-pris de modernité de l’écriture : « A la fin tu es las de ce monde ancien »
Il permet aussi de montrer que l’inspiration poétique s’alimente au cours mouvants des souvenirs : « ET tu recules aussi dans ta vie lentement » et que la confidence lyrique prendra souvent les teintes de la mélancolie : « Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages »
Le poème propose aussi une écriture soucieuse de renouveau, marchant à la rencontre du chant nostalgique et meurtri de la vie, mais pour le régénérer. Ainsi ce premier poème semble annoncer le mouvement de l’ensemble du recueil.
B. le thème de la fuite du temps, de l’infidélité de la femme et de la douleur d’aimer :
Un premier cycle ( Le Pont Mirabeau, la Chanson du Mal Aimé, Les Colchiques) s’organise autour du voyage dans le temps et d’une errance dans la douleur d’amour qui fait de la femme une figure ambiguë d’ivresse fascinante et de poison mortel : « Voie lactée O sœur lumineuse (…)/Nageurs morts suivront nous d’ahan/Ton cours vers d’autres nébuleuses « ( la Chanson du mal Aimé)
2ème série : Palais, Chantre, Crépuscule, Annie, la Maison des Morts, Clotilde
A l’empoisonnement morbide de l’amour, répond l’effusion onirique et imaginaire et, dans les palais du rêve, vivants et morts se prodiguent des serments éphémères, plus vrais que ceux du faux amour :  «  Les amoureux s’entraiment(…)/ Les morts avaient choisi les vivantes/ et les vivants/Des mortes. » ( la maison des morts)
Mais la réalité de la mélancolie et du dédain contraint le poète à poursuivre plus loin son idéal : « Passe il faut que tu poursuives/Cette belle ombre que tu veux » ( Clotilde)
C.      Le poète et l’homme ne se définissent que par le voyage et l’errance : série Cortège, Marizibill, le Voyageur, Marie, la Blanche Neige, Poème lu au mariage d’André Salmon, L’Adieu
La fuite du temps, l’infidélité des êtres conduisent l’artiste à la recherche douloureuse de son identité et au constat de la seule réalité des choses : l’errance. En abandonnant  à son ami Salmon la réalisation de l’amour heureux, le poète dit un adieu définitif au rêve sentimental et de Salmon à Salomé n’accepte de renaitre que dans le feu et le sang de la Poésie : « Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes » ( Cortège), » La vie est variable aussi bien que l’Euripe » ( Le Voyageur) « Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille/ je sais que seuls le renouvellent ceux qui sont fondés en poésie » ( Poème lu au mariage d’André Salmon)

2. Le difficile chemin de la quête poétique

A. la quête de l’idéal poétique à travers des figures mythiques de l’aventure//série : Salomé, la Porte, Merlin et la Vieille femme, Saltimbanque, Le Larron
Salomé ( autant dire la femme) enterre saint Jean Baptiste ( dont le surnom est saint Jean Bouche d’or autant dire le poète), autrefois prophète miraculeux puisque dans la Bible il annonce la venue du Christ, tout comme la femme infidèle conduisit à la mort le poète-amant des textes précédents. ( Apollinaire s’identifie aux héros des mythes et ces derniers en même temps lui permettent de transfigurer sa situation en situation universelle et partageable)
Abandonné et moribond, le poète commence sa renaissance par la conscience douloureuse de l’incertitude : « J’entends mourir et remourir un chant lointain/Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille » La Porte
Sous la figure de Merlin L’enchanteur, le poète qui sacrifie l’Amour à la mémoire de l’Amour rejoint en promesse les chants mélodieux d’Orphée : «  la dame qui m’attend se nomme Viviane (…)Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs ; » Merlin et la Vieille dame
Le poète, homme du voyage et de la douleur, voleur de mots qui ne surent pas convaincre, abandonné au seul recours de la religion, part au moins sur la route à la rencontre de nouveaux fruits : « Va-t-en errer crédule et roux avec ton ombre (…)/Tu n’as de signe que le signe de la croix » ( Le Larron)
B .Les dangers qui menacent le poète : solitude, mort, amour série Le Vent nocturne, Lul de Faltenin, la Tzigane, L’ermite
-Solitude et mort de l’inspiration : « C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé » Le Vent Nocturne
-Obsession de l’amour et tentation de la perdition : …j’attends qu’elle les dresse/ les mains énamourées devant moi l’Inconnue » L’Ermite
-Charmes dangereux des paroles illusoires et mortelles des sirènes, femmes et rivales en poésie :
Sirènes, j’ai rampé vers vos/ Grottes ( …)ET j’écoutais ces chœurs rivaux ( Lul de Faltenin)
C.      Le feu symbolique de la purification : série Automne, L’Emigrand de Lander Road, Rosemonde, le Brasier
En acceptant d’entrer dans l’automne de la solitude et en sachant s’éloigner des souvenirs obsessionnels, le poète se purifie par le feu de l’oubli et se déprend de l’angoisse des souvenirs maudits : «  Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été ( Automne)
Par l’exil il échappe aux obsessions : Gonfle-toi vers la nuit ö mer ( L’Emigrant de lander road)
Par le feu le passé s’abolit :
J’ai jeté dans le noble feu/ Que je transporte et que j’adore (…)ce passé têtes de morts/ Flamme je fais ce que tu veux ( Le Brasier)
D.      Un ultime écho des souvenirs ( Rhénanes)
Les échos réalistes et mélancoliques d’une saison et d’un lieu d’amour que le feu du brasier à revivifiés avant que le poète ne s’en détache. Ces poèmes particulièrement complexes d’Alcools acceptent la ligne directrice progressive et difficile de la renaissance du poète, phénix qui revit au milieu des cendres de la solitude et de son passé amer. Les masques divers de la légende et le recours aux symboles multiples permettent à l’artiste de dérouler la ronde de ses tourments et de ses obsessions que seul le feu de la création et l’ivresse de la poésie peuvent apaiser. Le poète évolue de la plainte  lyrique à une ambition plus universelle, devenir l’homme du beau et du Vrai.

III De la connaissance de soi à la connaissance du monde.

Les poèmes qui achèvent le recueil présentent deux thèmes essentiels :
1.      Série 1909, Automne malade, Hôtels : Apollinaire confirme sa vision du monde et de l’homme : incertitude et précarité dominent les sentiments, les souvenirs d’amour engendrent des souffrances que rien n’apaisent et le monde est à l’image de la tour de Babel dans laquelle les êtres errent incompris et solitaires. Mais le poète fonde aussi la dignité de la poésie : voyageur mélancolique dans le cours du temps et des émotions, le poète, dans l’ivresse des mots, les enchantements des images nocturnes et sous l’impulsion de ses rêveries peut accéder à la connaissance universelle des choses, des êtres et des lieux.
2.      Vendémiaire : le dernier poème au titre symbolique de mois révolutionnaire évoque l’issue de  e parcours qui intègre toutes les expériences et tous les souvenirs. L’écriture est moyen d’accès à la connaissance, figure de ce qui reste la part active de l’homme : la surprise, l’ivresse, l’instantané, l’émotion, le souvenir.
« Actions belles journées sommeils terribles/végétations accouplements musiques éternelles/Mouvements adorations douleur divine/Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez/ Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré/

Mais j’ai connu dès lors quelle saveur a l’univers ( Vendémiaire)


 Conclusion: Itinéraire allant d’un pessimisme existentiel à un optimisme artistique en passant par des étapes contradictoires et plusieurs fois alternées : évocations d’un monde en perpétuel devenir où le regret , le désespoir, le suicide guettent l’homme et les actes de foi en la poésie qui seule renouvelle le monde.
Vendémiaire le dernier poème a été composé 3 ans avant « Zone » qui ouvre le recueil.
M’œuvre entremêle arts poétiques et poèmes élégiaques, évocations des amours passé et hymnes au renouvellement.

Certains ont parlé d’architecture cubiste – même si Apollinaire n’aimait pas que l’on emploie le mot pour la poésie, il préférait simultanéisme. parce qu’Apollinaire fait alterner les points de vue, les émotions contradictoires, morcelle ses évocations d’expériences et de choses vues, les actes de foi. Il cherche à créer par juxtaposition de fragments un sensibilité et un regard neuf chez le lecteur, selon le principe du collage. ( Ex de la métaphore : soleil cou coupé)

Symétrie en miroir : de part et d’autre d’un axe, éléments qui se répondent ou s’opposent terme à terme : ex Zone- Vendémiaire, Le Pont Mirabeau- Automne malade, la Chanson du Mal Aimé- A la Santé, Les colchiques-1909, Palais-Clair de Lune, Cortège-Les Fiançailles…
Le poème qui serait alors central en fonction de pivot serait Le Brasier qui met en œuvre le thème du feu instrument de mort symbolique du héros qui renaît purifié du bûcher de son passé et accède à la création poétique dont le feu est aussi le symbole. Cf aussi l’image du phénix.

Circularité : Alcools s’ouvre sur le mot « fin » « A la fin tu es las de ce monde ancien » et s’achève sur l’image de la naissance du jour dans vendémiaire : « Les étoiles mouraient le jour naissait à peine »
Dénouement qui évoque un commencement. Schéma que l’on retrouve pour la Chanson du Mal Aimé et pour Zone : celui par lequel la fin d’une œuvre renvoie à son début qui paraît logiquement s’enchaîner avec elle cf aussi grands cycles naturels du jour et de la nuit, celui des saisons, éternel recommencement, éternel retour des interrogations, caractères toujours provisoire des solutions.



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