samedi 18 janvier 2020

A retenir sur la figure du valet dans Le Mariage et sur l'évoltution de ce personnage de comédie


 A partir de l'étude de la scène 5 de l'acte III et de sa dernière partie:

Le valet des comédies du XVIIIème siècle ne répond plus au stéréotype du valet fourbe et fripon de la Commedia dell’arte. Le portrait dévalorisant que dresse Almaviva de Figaro ne lui correpond pas, de sorte que le blâme se retourne contre lui : si quelqu’un dans cette comédie est « louche » , de « réputation détestable », c’est davantage le Comte que Figaro. Ce dernier ne répond plus au stéréotype du valet de comédie (« de l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère », lui disait Suzanne, I, 1) : il ne « marche(r) » plus « à la fortune » , et ne cherche plus à s’ « avancer » , et n’a rien de « médiocre et rampant » .

Il a appris à répondre, à se défendre, à revendiquer son droit à l’honneur et au bonheur. Or, Almaviva et la noblesse qu’il représente semblent ne pas s’en rendre compte (« une réputation détestable »). C’est pourquoi, à partir de la réplique : « Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? », le public assiste-t-il à un renversement des rôles : Figaro attaque indirectement le Comte (son rival auprès de Suzanne, sa fiancée) à travers cette généralisation qui met toute la noblesse en question : la caricature des intrigants qui suit débouche sur une critique des courtisans dans la tirade finale. Habilement Figaro opère un glissement dans une critique qui vise au premier chef, le Comte et ses « licences », bien entendu, mais avec lui tous les hommes d’intrigue : il passe donc des arrivistes aux intrigants de cour qui peuvent vivre sans travailler, c’est-à-dire, les courtisans, les aristocrates. Cette critique de l’inutilité de la classe privilégiée («paraître profond quand on est, comme on dit, que vide et creux ») prend toute sa dimension contestataire au siècle où les philosophes des Lumières revendiquent une morale sociale où chacun participe à l’intérêt collectif. Louis XVI qui a interdit Le Mariage de Figaro et embastillé Beaumarchais ne s’y est pas trompé, de même que le Comte qui, trouvant sans doute que Figaro va trop loin dans l’amalgame qu’il fait entre les arrivistes et les politiques (« voilà toute la politique, ou je meure ! ») le rappelle à l’ordre : « Eh ! c’est l’intrigue que tu définis ! » , mais Figaro persiste et signe : « La politique, l’intrigue, volontiers ; mais comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra ! » .



On doit à Beaumarchais l’invention d’un personnage devenu par la force même de son existence dramatique (la forme même de la trilogie implique un retour du personnages en même temps que son évolution, et donc un rapport problématique à l’idée d’identité, affrontée à l’écoulement temporel) un mythe littéraire, accédant au même titre que les grands héros tragiques à une individualité généralement bannie d’un genre comique jouant plus volontiers sur les archétypes. Un tel personnage est une date, parce qu’il représente non seulement un individu mais une époque toute entière, un classe, le Tiers-Etat : « Comment voulez-vous ? la foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut ; le reste est écrasé ».
Il incarne la plus brillante incarnation du valet qui aspire à devenir maître à son tour et résume bien la complexité et la richesse du personnage de Figaro, et au-delà, de la notion même de personnage pour Beaumarchais. Il ressortit bien, comme tout personnage comique, à un « type » mais il le dépasse et la complexifie, le porte à un degré d’individualisation qui lui confère une existence autonome. Parallèlement, loin de demeurer confiné dans un imaginaire purement littéraire et intertextuel, il s’enrichit des échos qui s’établissent entre l’œuvre et les conditions (historiques, idéologiques) de sa production et de sa réception. Représentatif des bouleversements de son temps, porte-parole des « Lumières », il incarne l’esprit de contestation, l’esprit frondeur français et annonce les combats pour les droits de l’homme : « Liberté, égalité, fraternité ».


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