vendredi 19 juin 2020

Textes extraits de Des Cannibales commentés jeudi en classe

EXTRAIT1

 Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas conforme à ses usages; à vrai dire,il semble que nous n’avons autre critère de la vérité et de la raison que l’exemple et lidée des opinions et usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, le parfait gouvernement, la façon parfaite et accomplie de se comporter en toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, delle-même et de son propre mouvement, a produits: tandis quà la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. Cest dans ces créations spontanés que sont vivantes et vigoureuses les vraies-et les plus utiles et les plus naturelles-vertus et propriétés, que nous avons abâtardies en ceux-ci, et que nous avons adaptées au plaisir de notre goût corrompu. Et  pourtant, la saveur même et délicatesse sont, à notre goût,excellentes, et dignes des nôtres, dans divers produits de ces contrées-là qui ne sont pas cultivées. Rien ne justifie que lartifice soit plus honoré que notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tellement surchargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l’avons complètement étouffée.Il nen reste pas moins que, partout où sa pureté resplendit, elle fait extraordinairement honte à nos vaines et frivoles entreprises,
 "Et le lierre pousse mieux de lui-même,L’arbousier croit plus beau dans les antres isolés, Et les oiseaux chantent plus suavement sans aucun artifice." 

Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à décrire le nid du moindre oiselet, son agencement, sa beauté et son utilité,ni même la toile de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature ou par le hasard, ou par l’artifice; les plus grandes et les plus belles, par l’une ou l’autre des deux premiers; les moindres et imparfaites, par le dernier.

Texte 2

 
Chacun rapporte comme trophée personnel la tête de l’ennemi qu’il a tué, et l’attache à l’entrée de son logis. Après avoir,pendant une longue période,bien traité leurs prisonniers,et leur avoir offert toutes les commodités quils peuvent imaginer, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée des gens quil connaît; il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur d’être attaqué par lui, et il donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de même; et tous les deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée.Cela fait, ils le font rôtir et en mangent en commun et ils en envoient des morceaux à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient autrefois les Scythes; c’est pour signifier une extrême vengeance. En voici la preuve:ayant remarqué que les Portugais, qui s’étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d’une autre sorte de mise à mort contre eux, quand ils les faisaient prisonniers, mise à mort qui consistait à les enterrer jusquà la ceinture, et à tirer au demeurant du corps un grand nombre de flèches, et à les pendre après, les cannibales pensèrent que ces gens de l’autre monde, comme ceux qui avaient répandu la connaissance de beaucoup de vices chez leur voisinage, et qui étaient beaucoup plus experts qu’eux en toute sorte de malice, ne livraient pas sans raison à cette sorte de vengeance, et qu’elle devait être plus désagréable que la leur,et ils commencèrent à abandonner leur ancienne pratique pour suivre celle-ci.Je ne suis pas fâché que nous constations l’horreur barbare qu’il y a dans un tel comportement, mais je le suis, en revanche, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles pour les nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par des tortures et par des supplices un corps encore plein de sensibilité, à le faire rôtir par le menu, à le faire mordre et le mettre à mort par des chiens et des porcs (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entredes ennemis anciens, mais entredes voisins et des concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et de le manger après qu’il est trépassé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire