Dans vos réponses je trouve plusieurs fois des formules semblables, parfois des erreurs similiares: faites plus confiance à votre propre réflexion.
Guillaume Apollinaire est fasciné par les progrès incroyables
qui, depuis le début de la Belle Époque en 1870, changent radicalement le
paysage urbain.
Il faut rappeler les bouleversements du quotidien des Parisiens
au début du xxe siècle :
en 1895, naissance du cinéma ;
en 1889, la tour Eiffel ;
en 1900, création de la première ligne de métro,
puis disparition progressive des derniers autobus à chevaux ; la
même année, installation de l’éclairage électrique dans Paris à l’occasion de
l’Exposition universelle;
en 1909,Blériot traverse la Manche en avion et le premier poste
de TSF est
installé…
Alcools rend compte de ces changements radicaux qui transforment le
rapport à la ville et au monde.
1. C’est le lexique choisi par Apollinaire qui inscrit le plus
évidemment ses textes dans le contexte de la ville. « Tour Eiffel »,« rue industrielle », « pont Mirabeau », « tramways », « électricité »,« quartiers », « machines », ou encore « Usines manufactures », tous évoquent des
choses neuves. On notera d’ailleurs la présence de cet adjectif dans « Zone »,
à deux reprises : « toute neuve » (extrait 1), puis « Neuve » (extrait 2). C’est le monde urbain lié au travail qui l’intéresse
surtout dans « Zone ». De nombreux métiers sont cités (les « sténodactylographes » existent depuis peu de temps), plutôt liés au tertiaire dans « Zone »,
davantage liés à l’industrie dans « Vendémiaire », puisque l’extrait est
celui de la réponse des « villes du Nord ». Des détails précis montrent un attachement
profond aux réalités des travailleurs, comme le rythme « Du lundi matin au samedi soir
quatre fois par jour », dont le vers rend compte par sa construction, ou encore
l’importance accordée aux mains des ouvriers industriels dans « Vendémiaire »
:« manufactures », « mains », « doigts ».
2. Assez paradoxalement, la ville est systématiquement associée au
vivant. La tour Eiffel de « Zone » devient la « bergère » du « troupeau des ponts » ; la « sirène y gémit » ; « une
cloche rageuse y aboie » ; les enseignes sont aussi bavardes et pénibles que des « perroquets », les tramways sont, à l’instar des ponts, assimilés à du bétail
dans le détail de leur « échine
». Sans doute est-ce cela
qui permet au poète d’écrire qu’il aime « la grâce » de la ville, qui pour être neuve et « métallique », n’en reste pas moins totalement intégrée dans le monde humain
dont elle devient une sorte d’excroissance.
Ce monde urbain ne vient pas s’opposer violemment à la campagne,
il semble en recréer une nouvelle. La métaphore de « Vendémiaire » est à ce
sujet plus frappante encore : « Nos cheminées à ciel ouvert engrossent des nuées ». Le progrès est ici
fécond, et directement lié à la nature puisque les nuages des cheminées
d’usines donnent naissance à des « nuées » qui viennent se
confondre avec les nuages du ciel. Enfin, la comparaison avec « Ixion » rend ce progrès encore plus essentiel : loin de se présenter
comme la négation du passé, il crée un lien direct avec la mythologie antique.
3. Le thème du voyage est récurrent dans Alcools. Il peut tout d’abord être lié à la vie personnelle
d’Apollinaire, qui a beaucoup voyagé, et ce, depuis sa naissance (voir le poème
« Zone », qui dresse la liste des villes parcourues, ainsi que « Vendémiaire
»).
Dans ces courts extraits, on relèvera « Paris », « les villes du Nord », « l’Amérique », mais aussi « Landor Road », nom de la rue dans laquelle Annie Playden
habitait à Londres. D’autres poèmes d’Alcools font référence à des pays étrangers : l’Allemagne dans le cycle « Rhénanes », la Hollande dans « Rosemonde », l’Allemagne encore et l’Asie dans « Marizibill » (« Cologne », « Munich » et « Changaï »).
Ce qui permet cette ouverture au monde, c’est la réduction des
distances créée au xxe siècle par l’invention ou le perfectionnement des moyens
de transport. Le train est cité dans l’extrait 6 (« gare »), tout comme la navigation (« matelots ») que l’on retrouve dans « L’Émigrant de Landor Road » : « Mon bateau partira demain pour l’Amérique ». Mais ce sont aussi les « tramways » de « La Chanson du Mal-Aimé », et, principalement dans « Zone
», l’aviation. Apollinaire consacre les soixante-dix premiers vers de ce poème
au vol, allant jusqu’à comparer Jésus à un aviateur, puisqu’il « Il détient le record du monde de la hauteur ». Si l’aviation fascine
autant Apollinaire, c’est peut-être (il s’en explique dans L’Esprit nouveau et les poètes en 1917) en référence au
mythe d’Icare. L’homme est pour lui un « prodige », puisqu’il a réussi à réaliser les mythes. Icare, ainsi,
n’était qu’une « vérité supposée » que l’homme a fait
advenir, dans une forme de sublimation.
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