jeudi 12 mars 2020

L'inspiration médiévale dans Alcools

Vous trouverez les réponses aux questions posées dans le cours que je publie et qu'il faut apprendre dans la perspective de la dissertation possible au baccalauréat.
Si vous ne comprenez pas quelque chose, il faut m'envoyer vos question.


 L'influence du Moyen- Age sur Apollinaire sera à développer lors que l'on voudra prouver que par certains aspects son oeuvre appartient à la tradition.


La jeunesse d’Apollinaire est marquée par ses études. Élève très studieux, il est rapidement fasciné par la littérature, et notamment par les oeuvres du Moyen Âge – celles de François Villon en tête.
À son arrivée à Paris, en 1904, il approfondit sa connaissance de la littérature médiévale en consultant pendant de longues heures les manuscrits de la bibliothèque Mazarine. Ses toutes premières publications témoignent d’ailleurs de cette passion. L’Enchanteur pourrissant, publié en 1909, se fonde sur le personnage de Merlin, tiré de la légende arthurienne du Moyen Âge. En 1911 paraît Le Bestiaire, livre qui mêle aux poèmes d’Apollinaire les dessins de Raoul Dufy, sans doute inspirés des premières « gravures d’animaux » de Pablo Picasso. On retrouve dans ce livre d’art la forme des bestiaires médiévaux, elle-même héritée d’ouvrages latins plus anciens.

Le Bestiaire d'Apollinaire  textes. A vous de chercher des exemples d'illustrations de Raoul Dufy.
 
Alcools, le souvenir des formes médiévales
Les formes poétiques médiévales sont toutes fondées sur la chanson : la poésie ne s’entend pas, en effet, en dehors d’un accompagnement musical. Vers la fin du Moyen Âge, de très nombreuses formes fixes apparaissent, et elles s’éloignent progressivement des formes poétiques chantées pour n’être plus que lues. Elles conservent, pour la plupart, des formes liées à la chanson, comme la présence d’un refrain, le retour de vers identiques ou l’envoi final.
 
« Le Pont Mirabeau » est le meilleur exemple de cette inspiration médiévale dans Alcools, avec sa structure extrêmement régulière qui fait alterner des quatrains de vers hétérométriques et le retour d’un distique en guise de refrain.

Le rondeau, ainsi que sa variante rondel, comportent, comme la ballade, trois strophes au schéma de rimes complexe. Si aucun rondeau ne figure dans Alcools, on notera tout de même que plusieurs poèmes sont construits, à la manière de ces triolets, sur des ensembles de trois strophes. C’est par exemple le cas de « Aubade chantée à Laetare », « Les colchiques », ou encore « Clotilde », qui justement reprend le goût du Moyen Âge pour les vers courts, puisqu’il est constitué d’heptasyllabes.

 Le « lai » lyrique est évoqué dans « La Chanson du Mal-Aimé » (« Moi qui sais des lais pour les reines »), qui en adopte certaines caractéristiques. Cette forme au départ assez libre est constituée d’octosyllabes, vers privilégiés de ce poème qui en reprend la longueur caractéristique et la matière, puisque, comme dans les premiers lais, Apollinaire fait le récit de plusieurs contes et légendes. On retrouve enfin un refrain, dans la litanie des formes fixes de la poésie et de la chanson. 

Ce sont pour finir certains jeux poétiques des textes d’Alcools qui évoquent ceux du Moyen Âge. En premier lieu, le goût médiéval des strophes à rimes identiques, que l’on retrouve dans « La blanche neige ». Les deux premières strophes jouent en effet sur des assonances en [iel] et [ier], et la répétition du mot « ciel » à la première.On y retrouve également l’alternance des vers courts et longs, très prisée au Moyen Âge et notamment dans les virelais, ou encore les jeux de mots comme celui qui lie à la rime « neige » et « n’ai-je ». Ces deux rimes uniques se lisent aussi dans « L’Adieu », constitué d’un seul quintile, et sur des assonances en [èr] et [ten].
La reprise de topoï du Moyen Âge
Le locus amoenus, ou le verger courtois
L’aventure amoureuse est très fréquemment liée, dans la littérature du Moyen Âge, à la présence d’un lieu idyllique, jardin magnifique dans lequel on retrouve des fleurs, des arbres fruitiers, souvent une source ou une fontaine, des oiseaux qui chantent. Ce verger d’amour fortement allégorique se retrouve dans plusieurs poèmes d’Alcools. « Aubade chantée à Laetare » présente ainsi tous les éléments naturels qui favorisent l’apparition des dieux de l’amour : le « bois joli », les « roses
qui feuillolent », « la floraison », résumés dans la dernière strophe : « la nature est belle et touchante ». « Les colchiques » reprennent ce même topos médiéval, et également « Annie » (« Un grand jardin tout plein de roses »), ou encore « Clotilde » (« L’anémone et l’ancolie / Ont poussé dans le jardin »). Comme dans la poésie médiévale, ces locus amoenus sont bien les réceptacles de l’amour, puisque tous ces poèmes évoquent ce thème. 
En lien avec ce motif, celui de la reverdie est également présent : ce genre poétique célèbre le renouveau de la nature au printemps, en le mettant en lien avec le renouveau amoureux. Le poème « Mai », par exemple, joue sur la reverdie médiévale en la renouvelant.



La matière arthurienne: il s'agit des romans de chevalerie qui raconte l'histoire du Roi Arthur.
Elle est surtout présente dans les poèmes les plus anciens du recueil, écrits entre 1898 et 1901, et fréquemment associée aux thèmes bibliques. 
« Merlin et la vieille femme » est tout entier fondé sur la légende arthurienne, et plus spécifiquement sur le personnage de Merlin, « l’enchanteur pourrissant » du premier ouvrage d’Apollinaire. Il fait intervenir les personnages les plus célèbres, Viviane et Morgane, et raconte les amours de Merlin piégé par Viviane dans un cercle d’aubépines. Merlin fascine Apollinaire,peut-être parce qu’ils partagent une même souffrance : celle d’être des enfants de père inconnu.

Histoire de Merlin 
 On retrouve ce cycle arthurien de manière plus allusive dans d’autres textes, à travers les images de l’amour courtois, ou fin’amor. « À la fin les mensonges » se clôt ainsi sur l’image de la femme aimée observant son chevalier du haut de sa fenêtre : « Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardé longtemps / M’éloigner en chantant ». À Annie et Marie se substitue ainsi souvent
l’image de cette femme lointaine, rappel du thème de la belle dame sans merci, comme on le voit dans « Annie » où « Une femme se promène souvent / Dans le jardin toute seule ».



« Ubi sunt qui antes nos fuerunt ? »
Le topos du Ubi sunt, tiré de la question signifiant « Où sont ceux qui nous ont précédé ? », est l’un des plus célèbres des poèmes de François Villon, ou de Rutebeuf. Cette réflexion sur le temps née des pensées des philosophes antiques, notamment stoïciens comme Marc-Aurèle, est réemployée tout au long du Moyen Âge, d’abord dans la poésie chrétienne où elle reprend le motif de la vanité, puis
dans un sens plus profane, liée notamment au thème des amours disparues – on se rappelle le vers célèbre « Mais où sont les neiges d’antan ? », dans « La Ballade des dames du temps jadis » de Villon. Ballade des dames du temps jadis
Le poème « Marie » la reprend très précisément dans les questions rhétoriques en anaphore : « Sais-je où s’en iront tes cheveux », et « Le voyageur » reprend ce motif en le détournant légèrement dans
l’anaphore « Te souviens-tu ? ».

Comment Apollinaire détourne les motifs traditionnels du Moyen Age:
Le détournement des références médiévales
Si Apollinaire fait siens les formes ou les motifs médiévaux traditionnels, il joue en revanche très souvent sur ces codes en les détournant. Ainsi, dans « Aubade chantée à Laetare », ce ne sont pas les oiseaux qui chantent, mais, fort ironiquement, les « grenouilles humides » et les « poules » qui « caquètent » ! Quant aux dieux, ils ne discourent pas sur l’amour courtois, mais ils « s’embrassent à bouche folle »… Dans « Palais », alors que l’on retrouve le verger d’amour traditionnel, l’amour est loin d’être aussi platonique que la fin’amor ne l’exige, puisque le poète décrit les « chairs fouettées des roses de la roseraie » et le « cul de perle fine » de la « Dame de ses pensées ». La suite du poème associe plaisamment la chair et la chère, dans une description fort outrée d’un banquet typique du Moyen Âge où les viandes deviennent « des rôtis de pensées mortes dans [s]on cerveau ».
 Enfin, Apollinaire détourne un motif célèbre de Guillaume de Lorris dans Le Roman de la rose, où cette fleur ne peut jamais être cueillie par l’homme qui la recherche. Dans « Rosemonde », c’est la femme qui porte le nom de cette fleur, femme à la « bouche fleurie » (traduction du hollandais rose mond), à l’instar du personnage de « Palais », « Madame Rosemonde

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