mardi 24 mars 2020

Comparaisons des quatre poèmes de la section Rhénanes d'Alcools: correction


Comparaison des quatre Rhénanes : Nuit Rhénane, Mai, la Loreley,  les femmes

A travailler pour avoir des exemples dans une dissertation qui demanderait de prouver qu'Apollinaire s'inspire de traditions poétiques diverses, mais les renouvellent pour en faire quelque chose de personnel. Je vous recommande d'apprendre par coeur Nuit Rhénane ou Mai!

I Analyse des titres :
Nuit Rhénane : groupe nominal qui indique un cadre spatio-temporel précis, celui d’Apollinaire lors de son  séjour comme précepteur en Rhénanie : laisse attendre un paysage viticole au bord du Rhin, l’évocation d’activités nocturnes.
Forte connotation symbolique de la « nuit » : moment de rêve, intrusion de l’irrationnel dans le réel ? Propice à l’amour ? Mystère, connotation peut-être maléfique : que se passe-t-il pendant la « nuit rhénane » ?

Mai : noter la brièveté du titre, comme une sorte de cri d’allégresse chargé de toutes les connotations positives de ce mois de printemps : renaissance généralisée de la nature, beauté des arbres en fleurs, du muguet, mais aussi mois de transition vers l’été en sa fin.
A l’oreille , on peut cependant entendre aussi la conjonction de coordination adversative « mais ».
Par rapport à Nuit Rhénane, on peut considérer que le temps envisagé est plus long, tout un mois.
Le thème du temps est présent dans les titres des deux poèmes.

La Loreley : personnage de légende germanique, nom propre, inspiré par des connaissances culturelles, l’érudition d’Apollinaire. Personnage très célèbre : beaucoup de poètes allemands l’ont évoquée : Brentano, Heine. Se pose la question du lien entre le personnage de légende et la situation d’Apollinaire : figure de femme ambivalente : belle et maléfique, sorcière.

Les Femmes : d’une femme précise dans le poème précédent, on passe à un pluriel généralisant avec le déterminant défini. Qui sont- elles ? Le poème va-t-il parler des caractéristiques générales de toutes les femmes, de l’amour en général ?

II Analyse formelle : composition et versification :
Absence de ponctuation pour tous les poèmes : double effet : égarement par rapport aux repères habituels et liberté d’interprétation. Favorise en fait la polysémie.
Hésitation entre tradition et modernité.

Nuit Rhénane : 3 quatrains d’alexandrins suivi d’un vers isolé : structure brisée comme le dernier verre de ce dernier vers ( jeu sur les mots comme Apollinaire les aime)
Oscillation entre la forme codifiée du sonnet et la nécessité interne de transcrire la chute au sens propre et au sens figuré : chute du verre et chute du poème. (absence de stabilité, vertige de l’ivresse aussi bien pour le poète que pour le poème. Adéquation entre la forme et le fond.)
Régularité des rimes croisées minée par l’addition d’un 13ème vers qui fait basculer la totalité du poème dans l’irrationnel : 13 chiffre magique souvent connoté du côté du maléfice.

Mai : quatrains mais le déséquilibre intervient cette fois dans la 3ème strophe comprenant 5 alexandrins ( Quintil), nouvelle dissonance qui semble scinder le poème en 2 temps bien distincts + forte articulation temporelle au vers 13 « tandis que » alors que les deux premières strophes présentaient une vision imprécise à l’imparfait.
Rimes embrassées succèdent aux rimes croisées de Nuit Rhénane, Apollinaire est en quête constante d’une nouvelle forme d’expression inspirées certes de la tradition mais exploitées toujours de manière originale.

La Loreley : régularité formelle : 19 distiques ( strophes d e deux vers) aux rimes plates. Choix de la simplicité qui s’accorde avec la nature du poème : poème-chant comme l’attestent les répétitions, l’attention prêtée aux sonorités, la sobriété du lexique ; poème-conte : schéma narratif du récit, connecteurs temporels : puis, et…
Mais vers libres : de 13 à 17 syllabes, donc à nouveau rupture avec la tradition.

Les Femmes : 9 quatrains d’alexandrins, rimes embrassées.
Originalité formelle : Apollinaire s’inspire de la technique picturale du collage pour juxtaposer récit et discours en utilisant des caractères typographiques différents. Mode d’expression propre à traduite son déchirement intérieur, la dualité de son être et l’ambivalence de son expérience amoureuse. Encore un exemple de forme au service du sens.

III Etude des pronoms personnels : personnages.
Nuit Rhénane : menace qui pèse sur le « je ». a la place de l’intimité attendue de la relation je/tu, c’est un cercle de figures maléfiques qui vient entourer le poète, réduit à invoquer en vain un auditoire impuissant pour conjurer son angoisse ( Vers 5 à 8)
Le « je » se trouve pris au piège du chant du « batelier » ( V2) et plus subtilement cède au charme de figures purement imaginaires : 7 femmes « les fées aux cheveux verts qui incantent l’été ». l
Le poète en proie à l’ivresse du vin et au pouvoir magique du chant, de la poésie.
Le retour au réel rassurant symbolisé par les jeunes filles typiquement germaniques aux cheveux nattés ( vers 7-8) est impossible.
La représentation pronominale ternaire : je-vous-elles n’est là que pour accentuer la solitude et la détresse essentielle du poète, sensibles dans le dernier vers qui clôt le parcours dramatique du poème : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire » connotation du rire diabolique.

Mai : Début assez mystérieux : qui parle ? qui est en barque sur le Rhin ? le mois de Mai personnifié ou le poète ?  indéfini  aussi de l’article « des » :  dames qui ne sont pas clairement identifiées : « Des dames regardaient du haut de la montagne ». puis adresse du poète à leur égard « Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne… » ensuite le « je » sera plus nettement situé dans le cadre d’une relation amoureuse en voie d’achèvement : « sont les ongles de celles que j’ai tant aimée »
D’autres personnages font leur apparition dans le quintil : celles d’un petit cirque tzigane ambulant pittoresque et d’un régiment présent seulement pour l’ouïe. ( Cf le poèmes Saltimbanques)
Le couple Je/tu semble se défaire au fil du poème, les sujets des verbes se diversifient. A la fin importance d’éléments de la nature.

La Loreley : réécriture d’une légende. Disparition du "je" au profit du "elle", mais surtout patronyme Loreley répété six fois et abrégé deux fois en Lore (variation qui crée un harmonieux réseau phonique : Lore, l’Or, l’eau etc.)
Pronoms du récit : 3ème personne.
Pronoms du discours : dialogue entre Loreley et l’évêque, les chevaliers
Expression de la douleur personnelle emprunte la voix du conte folklorique, le poète identifie sa condition à celle d’autres figures légendaires comme pour extérioriser et conjurer son expérience singulière.

Les Femmes : disparition du « je «  totale. Plusieurs figures féminines désignées par leur prénom : Lenchen, Lotte, Lenie, Ilse, Lise… Même construction duelle que dans Loreley : discours= conversation des femmes en italique/ récit en caractère romain
Expression des sentiments indirecte : généralisation sensible dans les maximes du vers 28 : Lotte l’amour rend triste/ Ilse la vie est douce

IV Temps verbaux

Nuit Rhénane : présent qui domine ( indicatif et impératif) Le « je «  semble ne pouvoir échapper à l’emprise de la réalité immédiate, présente et pesante. Dernier vers : rupture avec avec un passé composé : caractère tragique du constat final très différent de l’allégresse du premier vers. L’éloignement temporel ainsi créé suggère une plongée irréversible dans l’ivresse, dans l’irrationnel et peut-être la folie, qui fait revivre un passé angoissant au présent et prolonge son effet destructeur sur le présent du poète.

Mai : ouverture sur un tableau qui disparaît à l’imparfait et au passé composé, mais dans les deux dernières strophes, les mêmes temps servent à caractériser une apparition- renaissance et le présent final symbolise le renouveau du paysage sur les « ruines » du passé.

La Loreley : alternance du passé dans le récit ( avec une invention fantaisiste pour absolvit v4) et du présent dans le discours. Le futir du v24 est une tentative pour inscrire la vie de la Loreley dans une continuité rassurante, condition future à laquelle l’héroïne semble se soumettre mais qui est réduite à néant par son acte final, auquel le présent de narration confère une grande intensité dramatique.

Les femmes : Même dualité que dans le poème précédent. Mais progression : le récit débute par un présent réconfortant décrivant une activité familière mais s(achève sur un imparfait duratif suggérant la montée de l’angoisse et , comme dans Nuit Rhénane, une plongée dans le fantastique, l’irrationnel.
La construction en chiasme des deux vers, le jeu de contraste entre l’espace paisible du v1 et la temporalité inquiétante du v36 viennent renforcer l’impression d’une évolution tragique, d’une correspondance fantastique entre l’espace extérieur menaçant et macabre et l’espace intérieur banal, miné par le songe « Herr Traum » et « sa sœur Frau Sorge « v 15 ». les temps du passé sont le plus souvent associés au fantastqiue et au tragique.
Mélancolie et fuite du temps et de l’amour. Attirance pour l’irrationnel et la mort.
Présent ambivalent : d’abord ancrage dans le réel rassurant mais aussi envoutement, éloignement et mort.

V. Champs lexicaux et images

1. Beaucoup d’images renvoient à l’espace :
Nuit Rhénane : contexte spatial précis, un cabaret au bord du Rhin, mot répété comme si le locuteur bégayait du fait de l’ivresse.

Mai : Rhin, vignobles, château, champ lexical de la nature au printemps, figures et groupes en mouvement

La Loreley : Bacharah, Rhin au pouvoir d’attraction magique et tragique puisque c’est son propre reflet qui entraine Loreley dans la mort ( cf Mythe de Narcisse.)
Fleuve ambivalent : fascination souvent au prix de la vie, vecteur du maléfice, symbole du temps qui passe cf On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ( Héraclite) Voir aussi le poème Le Pont Mirabeau
Champ lexical des réalités médiévales.

Les femmes : pas de pittoresque, maison de vignerons dans un village rural anodin, déployées autour de son église v33 Ambiance paisible, familière et familiale : cf espace du gynécée ( lieu réservé aux femmes dans le monde grec) conversation des femmes ;,poêle allumé, foyer, confort douillet
Espace extérieur très différent : v13 forêt : milieu mortifère ( porteur de mort), éléments qui s’animent grâce à des personnifications pour mener une folle sarabande V27 et entrainer dans la mort «  les passants » V32
Jeu de correspondances entre ces espaces apparemment antithétiques qui provoque l’interpénétration des deux univers, tous deux sous l’emprise finale de la mort cf v35 le poêle qui s’éteint.
Toujours ambivalence et dualité de l’univers apollinarien : espace réaliste et familier mais aussi espace symbolique des légendes et de la mort.

2. représentation de la femme :
Thème omniprésent : femme, filles, dames. Fascinante, belle et maléfique

Nuit Rhénane : dualité des femmes : vision des 7 femmes suscitée par le chant du batelier dans un décor de sabat de sorcières, activités inquiétantes et malfaisantes. Opposées aux femmes blondes  « aux nattes repliées » , femmes anges pour conjurer le maléfice dont le poète implore le secours. Tout les oppose :: maturité menaçante des femmes opposée à la pureté des jeunes filles, cheveux verts / blondeur,  etc
Mais l’image de la femme sorcière domine : cf rire final.

Mai : instaure un réseau de ressemblances ( analogies) entre la femme aimée et le paysage : or celui-ci est affecté d’un mouvement inéluctable de dégradation dès la 2ème strophe. La femme aimée se trouve aussi victime du même processus d’éloignement V3 et de mort symbolique comme si la renaissance du paysage et du poète exigeait ce sacrifice.

La Loreley : ébauche de blason ( genre poétique qui fait l’éloge des parties du corps de la femme) du corps féminin louant l’éclat des yeux et des cheveux de Loreley v5, V26,V38
Beauté dépréciée en raison de la duplicité de la femme., beauté et mal associé ; cf « sorcière blonde » symbole de l’amour destructeur ;

Les femmes : démultipliées perçues non à travers l’apparence physique mais dans leur conversation banale comme si le poète parvenait à atténuer sa fascination et par contre coup sa souffrance d’amoureux déçu.

3. L’obsession de la mort : les sentiments du poète
Presque toujours exprimés indirectement. Réseau d’images récurrentes ( qui reviennent) : morts des êtres, du paysage, de l’amour.

Nuit Rhénane : chute du verre qui se brise lié au tremblement, pertes de repères, vertige créé par l’ivresse mais aussi angoisse existentielle sous-jacente : chanson d’amour et de mort qui hante. Instabilité signe d’une situation psychologique précaire se r ésout en chute liée à la puissance incantatoire ( magie du chant) du chant morbide du batelier. Cf « à en ra^le –mourir » invention par Apollinaire de l’expression très forte.

Mai : Transfert symbolique des sentiments humains sur l’inanimé jeu du mot du v4 « Qui donc a fait pleurer les saules riverains ? » projection dans le paysage de ces propres larmes ; Le paysage subit une mort progressive mais inéluctable, mais la mort apparaît comme régénératrice : second souffle après le déclin de l’amour
.
Loreley : mal d’amour qui conduit au désir de mort

Les femmes : hantise de la mort. Multiplication des images funèbres en corrélation avec un champ lexical de la religion. Pourtant femmes vues dans des gestes familiers, plus du tout séductrices, la menace est extérieure ; V15

4. Thèmes spécifiques à chaque poème ( qu'on ne trouve pas dans les autres) :

Nuit Rhénane : l’ivresse du vin et du chant, le jeu sur les couleurs du soir et de la nuit. ( à rapprocher de Vendémiaire)

Mai : le thème du passage, le cortège du cirque tzigane

Loreley : sorcellerie/religion, le thème du feu, de la folie

Les femmes : quotidien d’un village, métiers, nourriture opposé au dehors angoissant.

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