Si vous ne comprenez pas, il est capital que vous m'envoyiez un mail ou même un coup de fil pour que je puisse vous expliquer.
Après avoir bien travaillé l'explication de texte, vous pouvez rédiger une introduction et me l'envoyer pour que je la valide d'ici à samedi 4 avril
Début du poème « Zone »
À
la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère
ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu
en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici
même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La
religion seule est restée toute neuve la religion
Est
restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul
en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen
le plus moderne c’est vous Pape Pie X
Et
toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer
dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu
lis les prospectus les catalogues les affiches qui
chantent
tout haut
Voilà
la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il
y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventure policières
Portraits
des grands hommes et mille titres divers
J’ai
vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve
et propre du soleil elle était le clairon
Les
directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du
lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le
matin par trois fois la sirène y gémit
Une
cloche rageuse y aboie vers midi
Les
inscriptions des enseignes et des murailles
Les
plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime
la grâce de cette rue industrielle
Située
à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l’avenue
des Ternes
I.La revendication de la modernité (vers
1 à 10)
1. Scandez le premier vers.
En quoi ce choix poétique est-il paradoxal avec le sens du vers ?
La scansion du premier vers peut donner 11 ou 12 syllabes, selon
que l’on repère ou non la diérèse sur « ancien ». Le poète se place donc d’emblée dans une forme ambiguë,
laissant au lecteur le choix de l’alexandrin. L’usage de ce vers noble est par
ailleurs assez paradoxal. En effet, le poète ouvre son poème (le premier du
recueil) sur la lassitude du « monde ancien », tout en reprenant en apparence une forme poétique ancienne !
Ce
Paradoxe peut s’apparenter
à une forme d’humour, ou d’ironie, renforcée par les premiers mots : « À la fin », étonnant pour le premier vers du premier poème. Il faut ici
le comprendre comme l’aboutissement d’une réflexion menée depuis longtemps, et
sur laquelle le poème bilan « Zone » va revenir en adoptant dès le vers 25 une
chronologie proche de l’autobiographie.
2 .La Tour Eiffel est-elle ancienne ou moderne pour le poète ?
2. Ce paradoxe semble se poursuivre sur le deuxième vers .Alors que
le poète refuse « ce monde ancien », le vers 2 s’ouvre sur
un personnage ancien, la « bergère
», l’héroïne des églogues
( poèmes qui évoquent la campagne idéalisée) ou des romans pastoraux ( romans
qui ont pour personnages des bergères et des bergers comme L’Astrée) du XVIIème siècle. Mais ici, le
terme est en apposition avec « ô tour Eiffel » : la tour Eiffel, toute neuve, est assimilée à cette bergère
en ce qu’elle garde le « troupeau
des ponts », qu’elle domine de
toute sa hauteur. On observe alors dans ce vers une alternance systématique
entre éléments anciens et éléments modernes ou qui évoquent la nouveauté : « bergère » // « tour Eiffel » // « troupeau » // « ponts » // « bêle » // « matin ». La ville de Paris fascine le poète, parce qu’elle entremêle
les différentes époques, créant ainsi quelque chose de totalement moderne. La métaphore
des ponts assimilés à des moutons peut étonner les élèves. Peut-être, ici, ce
sont les voitures qui klaxonnent sur ces ponts qui imitent le bêlement des
moutons. Par ces deux images qui coïncident, la ville s’anime et prend vie. Les
éléments du progrès sont rendus vivants par l’écriture poétique.
3.Pourquoi selon le poète la religion est-elle « toute
neuve » ?
3. Encore un paradoxe dans les évocations de la religion catholique…
Le vers 3 reprend le tout premier (au « tu es las » se juxtapose le « tu en as assez », d’un lexique plus courant), et explicite « ce monde ancien » puisqu’il parle plus précisément de « l’antiquité grecque et romaine ». C’est en lien avec ce
vers qu’il faut comprendre la modernité de la religion catholique, qui est ici
moderne au sens chronologique du terme. Mais si la religion est moderne, c’est
peut-être aussi, aux vers 5 et 6, par le parallèle qu’il crée entre elle et l’aviation.
La comparaison
« simple comme les hangars de
Port-Aviation » est assez confuse. On
peut la comprendre par le fait que religion et aviation ont à voir avec l’élévation,
spirituelle pour la première, physique pour la seconde. Enfin, le vers 8 est
toujours aussi ambigu : « L’européen
le plus moderne c’est vous pape Pie X ». Il semble montrer un
vrai respect du poète pour le Pape, puisque le vouvoiement se substitue au
tutoiement, et que l’éloge de la modernité est renforcé par le superlatif « le plus moderne ». Et pourtant, qualifier de « moderne » un pape qui a contribué grandement au mouvement de l’antimodernisme
est plutôt ironique ! Deux explications sont possibles :
Pie X ayant béni l’un des premiers aviateurs, il est moderne au
sens où il participe de l’aventure de l’aviation qui fascine Apollinaire. Et le
Pape est moderne parce que, comme le vers 7 l’explique, la religion catholique
est le symbole de la sortie définitive de l’Antiquité gréco-romaine. Ces
quelques vers exposent toute la complexité du
rapport d’Apollinaire à la religion. Vers 9-10, il dit sa « honte » qui l’empêche d’entrer dans une église, dans deux vers
accentués par l’enjambement qui les relie. Depuis sa crise de foi à l’âge de
seize ans, le poète vit une spiritualité difficile.
4.En quoi la situation d’énonciation ( Qui parle à qui dans le
poème ? qui le locuteur et le destinataire du texte ?) et la forme
poétique montrent-elles le choix de la modernité ?
4. Dans ce premier passage de « Zone », la forme poétique annonce
le choix de la modernité. Si le premier vers peut être lu comme un alexandrin,
le second est de 16 syllabes, et échappe à toute forme fixe. Et pourtant, on
peut lire un alexandrin dans le vers 2, voire deux hexasyllabes : « Bergère ô tour Eiffel // Le troupeau
des ponts bêle ». Le poète instaure un nouveau jeu de reprise/ rupture avec la
tradition poétique. L’énonciation est elle aussi particulière : à l’habituel «
je » poétique se substitue la deuxième personne : « tu es las », ou la cinquième : « c’est vous ». Si l’on peut penser au début que le poète s’adresse à son
lecteur en le tutoyant, on comprend rapidement que c’est à lui-même qu’il
parle, dans un jeu de distanciation, de dédoublement, rendu plus évident par l’usage
de la première personne au vers 15 (« j’ai vu ce matin ». La reprise de « ce matin », déjà présent au vers 2, montre bien que le« je » et le « tu
» ne font qu’un.
II. La poésie dans la ville
(vers 11 à 14)
1. Quel champ lexical unit ces quatre vers ? Où est la poésie de la
ville pour le poète ?
1. Ces quatre vers forment un ensemble cohérent parce qu’ils sont
construits sur une isotopie ( autre façon de dire « champ lexical) de l’écriture : « prospectus », « catalogues», « affiches », « journaux », « aventures policières », « portraits », « titres ». Apollinaire dresse la
liste, avec une énumération qui l’accentue au vers 11, de tout ce que le
paysage urbain offre à lire à qui le traverse. Mais il ne se contente pas de
citer tous ces éléments, il les classe, comme un critique littéraire. D’un côté
la « poésie », dans les slogans et
autres affiches publicitaires, d’un autre la « prose »,
dans les faits divers des journaux et tous les articles qu’il y
trouve. La prose est donc définie par son aspect narratif (« aventures policières » à suspens, « portraits des grands hommes » en forme de
biographies), alors que la poésie rassemble toutes les formes très brèves d’écriture,
qui « chantent tout haut », comme chanterait une
réclame publicitaire.
La poésie est musique, à l’image du vers libre utilisé dans ce
poème.
2. Par quels procédés montre-t-il sa fascination pour cette poésie
?
2.De nombreuses hyperboles marquent son admiration :« chantent tout haut », « pleines d’aventures », « grands hommes »,« mille titres divers ». On y joindra tous les
pluriels emphatiques, l’élan de l’énumération du vers 11, et l’emphase de la
déclaration « Voilà la poésie ce matin ». Ce vers sonne comme
une véritable annonce de la naissance de la poésie du monde moderne, notamment par
l’usage du déterminant défini « la poésie », qui ne désigne pas seulement une poésie particulière. Sa
particularité, ici, c’est qu’elle semble éclater aux yeux des passants, elle
s’affiche sur tous les murs, elle chante à toutes les oreilles.
2. Quel lexique particulier
emploie-t-il dans ces vers ?
3. Il est paradoxal que dans ces quelques vers qui sont un hymne à
la poésie, le lexique soit particulièrement courant : « Tu lis les prospectus les catalogues
les affiches ». La syntaxe est très
proche de l’oral, comme dans l’anaphore « il y a ». Plus marquant encore, le détail des « livraisons à vingt-cinq centimes », qui fait entrer dans l’écriture
poétique les chiffres et l’argent, deux réalités particulièrement prosaïques.
Mais là encore, c’est la poésie qu’Apollinaire revendique, dans le monde urbain
et dans sa conception de l’écriture poétique. Tout est poésie.
III.La Ville poétisée ( vers
15 à 24)
1. Justifiez le fait que cet ensemble de vers crée une unité.
1.Le vers 15 est le premier du poème à employer la première personne
: « J’ai vu ce matin une jolie rue
». L’ouverture de ce vers
est très narrative, et les vers suivants vont décrire effectivement cette « jolie rue » annoncée. C’est en quelque sorte le fil rouge de cet ensemble,
repris par « neuve et propre », « elle était », et les pronoms « y passent », « y gémit », « y aboie ». Enfin, les derniers vers de l’ensemble retournent à la rue en
général, avec une structure en boucle : « J’aime la grâce de cette rue industrielle / Située à Paris… ».
2.. Quelle réalité de la ville de Paris le poète décrit-il dans ces vers ?
La po2. Apollinaire choisit de décrire
une seule rue parisienne du XVIIème arrondissement, comme l’indiquent
les repères géographiques précis du vers 24 (« entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenuedes Ternes
»). Ce qui l’intéresse, c’est le monde du travail, dont le champ
lexical est omniprésent : « les
directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes », énumère-t-il au vers
17. La réalité des industries parisienne est largement retranscrite dans tous les
détails, comme la « sirène » des machines, la « cloche » qui marque le début de la journée ou la pause de « midi », et toutes les « enseignes » qui décorent le paysage urbain des noms des entreprises ou de
leurs slogans publicitaires. Le vers 18 décrit, quant à lui, la monotonie d’une
journée de travail : « du
lundi matin au samedi soir quatre fois par jour », que l’on retrouve dans
les deux vers suivants (« le matin par trois fois », « vers midi »). On retrouve ici encore la présence des heures, des chiffres,
réalité de la vie des Parisiens. Mais cette monotonie n’a rien de désespérant,
elle sonne, à l’inverse, comme un rythme presque musical. On peut le lire dans
« Le matin par trois fois la
sirène y gémit », où l’alexandrin est
mimétique de ce rythme par sa structure en 3+3+3+3. Il s’agit bien d’une « rue industrielle », et la presque oxymore de ce vers, dans la collusion de « grâce » et « industrielle », dit bien toute la poésie
que le poète lit dans une ville moderne.
3. Relevez le champ lexical du bruit. Quel lien pouvez-vous faire avec
les vers 11 à 14 ? Comment l’écriture poétique transforme-telle le réel ?
3. Dès le début de ce passage, la rue est assimilée à un instrument
de musique : « du soleil elle était le
clairon ». Cette métaphore est
accentuée par l’antéposition du complément du nom, qui permet de faire résonner
le « clairon » en fin de vers, éclairé
par la rime avec « nom ». Puis le poète évoque «
la sirène » qui « gémit »,
la « cloche rageuse » qui « aboie », et les affiches qui « à la façon des perroquets criaillent ». On retrouve donc la
précision du vers 11, où les affiches « chantent tout haut ». La poésie de cette rue
est, comme la poésie de tout Paris,
sonore, éclatante. Mais ces références à la musique et au bruit
permettent également de transformer cette rue. La « sirène » des usines, par la métaphore du verbe « gémir », devient la sirène mythologique qui attire les marins. De la
même manière, l’adjectif « rageuse
» personnifie la « cloche » et, par l’évocation de la « rage », la transforme en un
chien qui « aboie ». Enfin, les « enseignes » et les « plaques
», silencieuses,
deviennent sonores puisqu’elles « criaillent » à la manière de « perroquets ». Tout est métamorphosé par l’écriture poétique : cette « rue industrielle » devient une faune incroyable, qui mêle animaux domestiques, mythologiques
et exotiques, dans une cacophonie dominée par le « clairon ». L’espace urbain est donc totalement transfiguré, et prend une
dimension féerique qui se superpose à la réalité précise évoquée par le poète.
On peut alors lire ce début de « Zone » comme un art poétique ( Texte qui présente la façon
dont un poète conçoit sa poésie), en ce qu’Apollinaire y pose les jalons de toute sa poésie, qui
revivifie les anciennes traditions en les liant à un nouveau lyrisme.ésie
A