Le roman d’apprentissage (ou roman de formation), relate le
parcours d’un personnage qui quitte son milieu familial, et la part d’enfance
qui lui est rattachée, pour évoluer dans le monde et découvrir qui il est
réellement. Très prisé au XIXe siècle – même s’il existe
depuis le Moyen Âge et les romans de chevalerie – ce genre
permet à son auteur de mettre en évidence les tensions qui
existent entre l’individu et la société dans laquelle il évolue. Généralement
poussé par l’ambition, le personnage du roman d’apprentissage cherche à
atteindre un certain statut qu’il considère légitime d’obtenir.
Les bouleversements gouvernementaux observés au XIXe siècle (Révolution, Empire, Restauration), ont déséquilibré les
repères sociaux et politiques de l’époque, tout en permettant une mobilité
sociale inédite jusqu’alors. Le roman d’apprentissage s’est fait le traducteur
de ces aspirations parfois déçues, dans une société de plus en plus intéressée
par la réussite sociale et l’argent.
L’inscription de Le Rouge et le Noir dans le genre du roman d’apprentissage peut ne pas aller de soi.
En effet, si le personnage quitte bien son milieu social pour évoluer vers de
plus hautes sphères au fil du roman, et s’il apprend à mieux se connaître à
force d’introspection et d’analyse, il n’en demeure pas moins que la fin
du roman le ramène sur son lieu de départ, et le condamne à
mort.
Étrange apprentissage, s’il en est, que de se laisser aller aux
affres de la colère et de la passion. Mais cet échec social représente en
réalité une forme d’apothéose spirituelle du protagoniste, qui sort « grandi »
de cette longue aventure et acquiert une forme d’immortalité littéraire.
Questions
1. Quelle est
la situation de Julien Sorel au début du roman ?
2. Quel est
l’élément déclencheur qui va lui permettre de sortir de cette situation ?
3. Par quels lieux passe-t-il successivement dans le roman ?
Peut-on y voir une forme d’évolution ?
4. Quels sont les personnages qui permettent à Julien d’évoluer,
que ce soit dans la société ou dans la découverte de qui il est ?
5. Julien Sorel fait-il preuve d’ambition ? Quel regard le
narrateur porte-t-il sur cette ambition ?
6. Peut-on dire, à la lecture du dénouement, que ce roman est bien
un roman d’apprentissage ? Justifiez votre réponse en un paragraphe argumenté.
Elements de réponse:
1. Au début du
roman, Julien Sorel est présenté comme un jeune garçon issu d’une famille
pauvre (son père est charpentier) ;il est plutôt malingre et fragile, très
doux. Mme de Rênal le compare même à une jeune fille.
2. L’élément
déclencheur qui va permettre à Julien de sortir de cette situation est la
proposition faite par le maire de Verrières, M. de Rênal, de devenir le
précepteur de ses enfants. Cette proposition va permettre à Julien de quitter
un foyer mal aimant, et d’entrer dans une société supérieure à celle de
laquelle il provient.
3. Le roman
commence dans la ville de Verrières, où Julien vit avec son père (nulle mention
de la mère, si ce n’est au moment du procès où Julien avoue : « Mme de Rênal
avait été pour moi comme une mère. » II, XLI) ;
c’est là qu’il entre au service de Rênal, avant d’en être exclu et de rejoindre
le séminaire de Besançon. À la fin du livre premier, Julien quitte le
séminaire, retourne à Verrières le temps d’une visite nocturne à Mme de Rênal,
puis se rend à Paris. Il vit chez le marquis de La
Mole, et fait pour lui une brève excursion à Strasbourg. De retour à Paris, Julien est déshonoré par la
lettre de Mme de Rênal envoyée au marquis. Furieux, il part à Verrières et tire
sur elle durant la messe. Toute la fin du roman se déroule en prison, d’abord celle de Verrières puis de Besançon, où il est conduit
au chapitre XXXVI. Ainsi, on peut difficilement voir une forme d’évolution
positive si l’on s’attache uniquement aux lieux dans lesquels évolue le
personnage. Certes, il y a une gradation entre le livre I et le milieu du livre
II, puisque Julien passe de sa bourgade de province au salon d’un marquis
parisien, mais tout s’effondre avec le deuxième retour de Julien à Verrières.
Cependant cette boucle n’est qu’apparente,car le protagoniste a en réalité
beaucoup changé entre le début et la fin du récit.
4. Comme souvent dans les romans d’apprentissage, les femmes jouent
un rôle essentiel dans la formation du héros. Ici, le rôle est endossé par Mme
de Rênal puis par Mathilde de La Mole, qui enseignent à leur amant comment
s’approprier les codes de la société du monde. Ce qui n’empêchera pas certaines
bévues à effets comiques, caractéristiques du genre (par exemple l’épisode du
tailleur,de l’équitation, du duel ou encore du bal). Ces deux amantes lui
permettent aussi d’en apprendre plus sur lui-même : on peut parler «
d’éducation sentimentale » ici. Il n’est pas anodin que la première à l’initier
à l’amour soit plus âgée de dix ans, tandis que la seconde soit davantage une
sorte de double féminin du personnage, comme un miroir de sa propre passion
orgueilleuse.
D’autres personnages permettent à Julien d’évoluer dans la
société, par exemple l’abbé Pirard, le curé Chélan qui le fait entrer au
service de M. de La Mole, ou le marquis lui-même, grâce auquel Julien va,
symboliquement, passer successivement du « fils Sorel » à « Julien de Sorel », puis au « chevalier Sorel de La Vernaye », fils présumé d’un aristocrate. Mais l’ambition chez Julien
Sorel est surtout portée par une figure invisible, symbolique et cachée qu’il
rêve d’atteindre : Napoléon.
5. Julien Sorel fait dès le début preuve d’une grande ambition ;il
avoue d’ailleurs sa « résolution inébranlable de
s’exposer à mille morts plutôt que de ne pas faire fortune » (I, V). Cependant, ce désir de « faire fortune » n’est pas lié qu’au désir de devenir riche. Ce que cherche
surtout à obtenir Julien, comme son maître Napoléon, c’est une forme de reconnaissance sociale malgré sa basse extraction.
Il déteste qu’on le considère comme un « paysan », un « plébéien ». Il entretient d’ailleurs un rapport ambigu avec les riches et
les nobles,qui apparaissent à la fois comme ceux auxquels il veut ressembler,
mais aussi comme de véritables adversaires :
« Il n’éprouvait que haine et horreur
pour la haute société où il était admis, à la vérité au bas bout de la table,
ce qui explique
peut-être la haine et l’horreur. Il y eut
certains dîners d’apparat où il put à grande peine contenir sa haine pour tout
ce qui
l’environnait. » (I, VII)
Cependant, cette ambition parfois démesurée est souvent moquée
par le narrateur, qui n’hésite pas à traiter Julien Sorel de « parvenu » (II, XIII), ou à ironiser sur sa « petite vanité » (I, XIII). C’est cette ambition qui aveugle le personnage et
l’empêche de créer des relations sincères, que ce soit avec Mme de Rênal et ses
enfants
ou avec le marquis de La Mole, qui lui est pourtant sincèrement
attaché. Cet aveuglement d’orgueil, paradoxalement, va empêcher Julien
d’atteindre ses objectifs.
6. L’extrait de l’article proposé par le site Universalis.fr permet
de répondre à la question et de faire le bilan:
« Si le livre ne doit pas être réduit au genre du
roman d’apprentissage,le destin de l’ambitieux Julien est intimement lié à
l’histoire de sa formation. L’enfant qui rêvait des épopées napoléoniennes
deviendra à son corps défendant l’élève des puissants
Jésuites de la Restauration.
Le bon curé Chélan cédera à son tour le pas à
l’habile abbé Picard qui permettra au jeune homme de croiser un « maître » plus
conforme à ses idéaux en la personne du marquis de La Mole. Il en va de même
pour « l’éducation sentimentale » de Julien et pour la
férocité de la critique politique qui procure une connaissance sans pareille
d’une France où l’horizon de toute une génération semble bouché. Le Rouge et le Noir ne se résume donc pas à être, selon la formule de
son auteur, un « miroir que l’on promène sur une grande route».
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