samedi 9 novembre 2019

Le personnage de Julien ( 1)


Le personnage de Julien ( 1)

Julien Sorel, notes d’après Essai sur le romanesque stendhalien. Michel Crouzet.

1.       Un héros problématique : J « héros ado », « le jeune homme de génie, pour tous les temps et tous les peuples à culture » A. Suares
Crainte de Stendhal d’avoir créé un type plus qu’une intrigue // avec le Misanthrope.
Eclatement du caractère de J : pas vraiment « caractère »  qui serait un personnage explicitant par ses actes une définition qui lui préexiste et qu’il prouve. J : héros en action, en devenir, ce qu’il est = ce qu’il fait et dit, en mouvement. Sans statut déterminé : transgresse toute catégorie, virtualité et mystère. Accumule en lui plusieurs personnages : aspects plutôt que totalité : jeune homme de 1830, parvenu social, homme de la démocratie montante, plébéien ambitieux, séducteur, séminariste, assassin, rebelle.
Coup de pistolet raté : personnage plein d’affinités avec le crime et la violence, héros du mal, apostat, négateur, révolté fondamental mais aussi rêveur, âme tendre et sensible, artiste potentiel, homme au génie fatalement avorté, un être masqué, inconnu cf «  pour le commun des hommes, je serai un assassin vulgaire », un Stendhal bis.
Un être en promesses : au-delà des catégories morales et psychologiques. Ensemble d’antinomies : cf un air de jeune fille et délicatesse unis à l’énergie farouche et concentrée, naïveté presque sotte unie à une ruse de principe.
« éducation » : métamorphose de petit paysan buté et battu qui « a le fanatisme de l’illettré » pour deux  seuls livres qu’il connaît en un dandy parisien, ennobli et anobli, mais annihilé brusquement par la lettre de dénonciation de Mme de Rênal.
Entre des qualités contraires : vanité et orgueil, ambition et amour, infériorité et supériorité. Gloire noire des assises où se révèle pour Stendhal la vérité du cœur humain masquée par les conformismes sociaux etc
Le criminel, c’est l’homme consacré dans sa différence, son honneur inversé, son impulsion terrifiante : aristocratie négative, fondée sur le défi et la force de caractère : « là un homme prend d’emblée le rang que lui assigne sa manière d’envisager la mort ». Dans le guillotiné, la société reconnait l’homme fort qui la nie et la menace. « Son crime le sauve de l’odieux »
J était mis à mal par ses succès : audace majeure de Stendhal : j pas un héros sympathique, pas un héros au sens habituel : intériorité du révolté. Héros déplaisant qui devient un héros véritable en se libérant de lui-même, en devenant en fait un héros de roman : accède à une générosité qui ne lui est pas donnée au départ : «  plus honnête homme à l’approche de la mort qu’il ne l’avait été durant sa vie ».
Héros selon « la loi intérieure », l’autonomie de la volonté et de la force.

2.       La réception de Julien par la critique : affadissement du personnage en masquant ses aspects inquiétants par la critique alors que les contemporains en percevaient les aspects atroces. Malheureux, malfaisant, agressivité de J à l’égard des femmes. « Plus nous avançons dans la démocratie, plus le chef d’œuvre de Stendhal devient actuel » préface 1928 P Bourget
Visée apologétique de J : puisqu’il est dans son droit et que la société est dans son tort. Effacement de l’ambition, de l’hypocrisie cf Bardèche.

3.       Un personnage historique : forceur de barrages sociaux qui annonce l’Insurgé de Vallès. Le délégué de la jeunesse de province à la conquête de Paris, des places, des femmes, du pouvoir : le héros de l’égalité démocratique. J : Fils du peuple, ennemi des nobles, des prêtres, des riches, proche des conspirateurs : « jacobin » d’intention et d’affinité. Personnage de 1830 « potentiellement »  politique : seule cause à laquelle il adhère cependant la sienne ! cf « son imagination rêvait de distinction pour lui et de liberté pour tous. »
Chute de la Restauration : rétrospectivement, heurt des « jeunes gens de la petite bourgeoisie bien élevée et ne sachant où se placer » et de la Congrégation qui occupe tous les emplois. » Valeur résolument collective du héros. Napoléon est le modèle de J, modèle qui s’éloigne au cours du roman, symbolise l’exploit rémunéré, accession possible par tous à tous les emplois, possibilité d’une ascension quasi miraculeuse, égalité comme conquête de la révolution. Conquête héroïque cf vol de l’épervier//aigle, mais tortueuse aussi, immédiate, marquée par des promotions stupéfiantes. Tout est possible pour l’individu énergique sous l’Empire.
 Cf Tocqueville Démocratie en Amérique : individualisme révolutionnaire : livre « les hommes à eux-mêmes et ouvre devant l’esprit de chacun un espace vide et sans borne, l’envie, la haine et le mépris du voisin, l’orgueil et la confiance exagérée en soi-même, envahissent pour ainsi dire le cœur humain », leurré par la gloire de Napoléon : «  tourmenter de désirs absurdes la jeunesse française voudrait copier sa destinée au lieu d’inventer. »

4.       Vraies et fausses passions : ambigüité du rêve napoléonien de J : le XIXème siècle aime se sacrifier à des passions qu’il n’a pas : interrogation de Stendhal sur les fausses passions : actions faites sans plaisir réel et par pur conformisme cf Passion de Mathilde : «  passion d’imitation ». Le fait que les passions de J, l’ambition qui a servi d’axe principal au roman, son amour pour Mathilde qui l’a mis à l’agonie disparaissent comme par enchantement à la fin, au point qu’il songe au mariage futur de Mathilde et souffre de sa présence suggère la passion d’imitation.

5.       L’Unique :
Napoléon : l’Autre : force de prédateur, énergie du conquérant, Moi tyran, Individu souverain, homme providentiel : déploiement bouleversant de sa puissance personnelle.// Danton homme de la terreur bénéfique : « passer comme la tempête et faire le mal comme au hasard », homme épopée. Personnage romantique.
J héros typique d’une classe du peuple qui est fort parce qu’il combat au nom de besoins vitaux et réels ( différent besoin social dicté par la vanité et l’opinion des autres » est l’homme différent, supérieur parce que différent.) Limite de la saisie de J comme type : asocial, rebelle à l’encadrement de la société fut-elle celle de l’amitié et de l’intérêt cf «  je suis insociable » « J ne s’est affilié à aucun salon, aucune coterie », il « méprise les autres … n’aime agir que seul ». Singularité absolue qui le fait respecter, aimer ou haïr : refus d’être un homme copie ! »
Malheur à qui se distingue » pensée de la société. Pour Me de Rênal : « l’être singulier dont la rencontre avait bouleversé son existence », échappe aux catégories «  il ya de tout dans ce jeune homme excepté de la jeunesse », énigme de son unicité : cf « Pourquoi suis-je moi ? Inconnu et monstrueux aussi pour lui-même. Promesse, potentiel.

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