Le personnage de Julien ( 1)
Julien Sorel, notes d’après Essai sur le romanesque
stendhalien. Michel Crouzet.
1. Un héros problématique : J
« héros ado », « le jeune homme de génie, pour tous les temps et
tous les peuples à culture » A. Suares
Crainte de Stendhal
d’avoir créé un type plus qu’une intrigue // avec le Misanthrope.
Eclatement du caractère de
J : pas vraiment « caractère » qui serait un personnage
explicitant par ses actes une définition qui lui préexiste et qu’il prouve.
J : héros en action, en devenir, ce qu’il est = ce qu’il fait et dit, en
mouvement. Sans statut déterminé : transgresse toute catégorie, virtualité
et mystère. Accumule en lui plusieurs personnages : aspects plutôt que
totalité : jeune homme de 1830, parvenu social, homme de la démocratie
montante, plébéien ambitieux, séducteur, séminariste, assassin, rebelle.
Coup de pistolet
raté : personnage plein d’affinités avec le crime et la violence, héros du
mal, apostat, négateur, révolté fondamental mais aussi rêveur, âme tendre et
sensible, artiste potentiel, homme au génie fatalement avorté, un être masqué,
inconnu cf « pour le commun des hommes, je serai un assassin
vulgaire », un Stendhal bis.
Un être en
promesses : au-delà des catégories morales et psychologiques. Ensemble
d’antinomies : cf un air de jeune fille et délicatesse unis à l’énergie
farouche et concentrée, naïveté presque sotte unie à une ruse de principe.
« éducation » :
métamorphose de petit paysan buté et battu qui « a le fanatisme de
l’illettré » pour deux seuls livres
qu’il connaît en un dandy parisien, ennobli et anobli, mais annihilé
brusquement par la lettre de dénonciation de Mme de Rênal.
Entre des qualités
contraires : vanité et orgueil, ambition et amour, infériorité et
supériorité. Gloire noire des assises où se révèle pour Stendhal la vérité du
cœur humain masquée par les conformismes sociaux etc
Le criminel, c’est l’homme
consacré dans sa différence, son honneur inversé, son impulsion
terrifiante : aristocratie négative, fondée sur le défi et la force de
caractère : « là un homme prend d’emblée le rang que lui assigne sa
manière d’envisager la mort ». Dans le guillotiné, la société reconnait
l’homme fort qui la nie et la menace. « Son crime le sauve de
l’odieux »
J était mis à mal par ses
succès : audace majeure de Stendhal : j pas un héros sympathique, pas
un héros au sens habituel : intériorité du révolté. Héros déplaisant qui
devient un héros véritable en se libérant de lui-même, en devenant en fait un
héros de roman : accède à une générosité qui ne lui est pas donnée au
départ : « plus honnête homme à l’approche de la mort qu’il ne
l’avait été durant sa vie ».
Héros selon « la loi
intérieure », l’autonomie de la volonté et de la force.
2. La réception de Julien par la critique
: affadissement du personnage en masquant ses aspects inquiétants par la
critique alors que les contemporains en percevaient les aspects atroces.
Malheureux, malfaisant, agressivité de J à l’égard des femmes. « Plus nous
avançons dans la démocratie, plus le chef d’œuvre de Stendhal devient
actuel » préface 1928 P Bourget
Visée apologétique de
J : puisqu’il est dans son droit et que la société est dans son tort.
Effacement de l’ambition, de l’hypocrisie cf Bardèche.
3. Un personnage historique : forceur
de barrages sociaux qui annonce l’Insurgé
de Vallès. Le délégué de la jeunesse de province à la conquête de Paris, des
places, des femmes, du pouvoir : le héros de l’égalité démocratique.
J : Fils du peuple, ennemi des nobles, des prêtres, des riches, proche des
conspirateurs : « jacobin » d’intention et d’affinité.
Personnage de 1830 « potentiellement » politique : seule
cause à laquelle il adhère cependant la sienne ! cf « son imagination
rêvait de distinction pour lui et de liberté pour tous. »
Chute de la
Restauration : rétrospectivement, heurt des « jeunes gens de la
petite bourgeoisie bien élevée et ne sachant où se placer » et de la
Congrégation qui occupe tous les emplois. » Valeur résolument collective
du héros. Napoléon est le modèle de J, modèle qui s’éloigne au cours du roman,
symbolise l’exploit rémunéré, accession possible par tous à tous les emplois,
possibilité d’une ascension quasi miraculeuse, égalité comme conquête de la
révolution. Conquête héroïque cf vol de l’épervier//aigle, mais tortueuse
aussi, immédiate, marquée par des promotions stupéfiantes. Tout est possible
pour l’individu énergique sous l’Empire.
Cf Tocqueville Démocratie en Amérique : individualisme révolutionnaire :
livre « les hommes à eux-mêmes et ouvre devant l’esprit de chacun un
espace vide et sans borne, l’envie, la haine et le mépris du voisin, l’orgueil
et la confiance exagérée en soi-même, envahissent pour ainsi dire le cœur
humain », leurré par la gloire de Napoléon : « tourmenter de
désirs absurdes la jeunesse française voudrait copier sa destinée au lieu
d’inventer. »
4. Vraies et fausses passions :
ambigüité du rêve napoléonien de J : le XIXème siècle aime se sacrifier à
des passions qu’il n’a pas : interrogation de Stendhal sur les fausses
passions : actions faites sans plaisir réel et par pur conformisme cf
Passion de Mathilde : « passion d’imitation ». Le fait que les
passions de J, l’ambition qui a servi d’axe principal au roman, son amour pour
Mathilde qui l’a mis à l’agonie disparaissent comme par enchantement à la fin,
au point qu’il songe au mariage futur de Mathilde et souffre de sa présence
suggère la passion d’imitation.
5. L’Unique :
Napoléon : l’Autre : force de
prédateur, énergie du conquérant, Moi tyran, Individu souverain, homme
providentiel : déploiement bouleversant de sa puissance personnelle.//
Danton homme de la terreur bénéfique : « passer comme la tempête et
faire le mal comme au hasard », homme épopée. Personnage romantique.
J héros typique d’une
classe du peuple qui est fort parce qu’il combat au nom de besoins vitaux et
réels ( différent besoin social dicté par la vanité et l’opinion des
autres » est l’homme différent, supérieur parce que différent.) Limite de
la saisie de J comme type : asocial, rebelle à l’encadrement de la société
fut-elle celle de l’amitié et de l’intérêt cf « je suis insociable »
« J ne s’est affilié à aucun salon, aucune coterie », il
« méprise les autres … n’aime agir que seul ». Singularité absolue
qui le fait respecter, aimer ou haïr : refus d’être un homme
copie ! »
Malheur à qui se distingue »
pensée de la société. Pour Me de Rênal : « l’être singulier dont la
rencontre avait bouleversé son existence », échappe aux catégories «
il ya de tout dans ce jeune homme excepté de la jeunesse », énigme de son
unicité : cf « Pourquoi suis-je moi ? Inconnu et monstrueux
aussi pour lui-même. Promesse, potentiel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire