samedi 9 novembre 2019

Le personnage de Julien (6) L'amant


L’amant.

Julien, l’amant.
J est-il enfermé dans un piège d’amour-propre, toujours souffrant et en quête de compensations ?
Il dit parfois haïr Mme de Rênal «  à cause de sa beauté » (I,7,I13 »,II,8),
à propos de Danton : apologie de la laideur. Malaise d’un égocentrisme toujours blessé l’écarte du désir, une sorte de mutilé du cœur.
Héros d’une société où la passion amoureuse est en baisse : « à vingt ans, l’idée du monde et de l’effet à y produire l’emporte sur tout »I,11
 Atrophie du désir alors que traditionnellement le roman est l’espace par excellence de la passion amoureuse.
J n’y accède qu’au prix d’une véritable conversion aux valeurs du cœur. 

Des valeurs épiques de conquête ( cf prise de la main de Mme de Rênal) aux valeurs mystiques (union des cœur, dimension religieuse de l’amour) J doit apprendre à aimer, au dépens de l’ambition, de l’orgueil, de la conscience sociale. Peur de se laisser aller cf I,14 « il avait peur de Mme de Rênal à cause de sa robe si jolie », peur des sentiments tendres. Moi conquérant «  célibataire » difficilement compatible avec l’amour de l’Autre absolu.
Intrusion dans les relations du cœur des relations sociales.
Antagonisme du désir et de la passion et de la société démocratique pour Stendhal.
 Nuits d’amour sans amour avec les deux femmes : plutôt réponse à un défi, à une décision prise par la volonté, pas appel à un quelconque plaisir. « victoires » ( sur le danger, sur soi, sur l’autre), encore un jeu de rôles qui conduit à une froideur et à une contrefaçon de l’amour.
A Mme de Rênal, héroïne inactuelle, qui, par  son ignorance, sa réclusion provinciale et familiale a gardé intégralement les trésors d’une tendresse romanesque, s’opposent Julien qui la conquiert sans l’aimer, par dédommagement de son orgueil frustré et Mathilde, héroïne moderne et parisienne, bel exemple de la femme sans cœur, incarnant le narcissisme féminin dénué de tendresse. « agace » J, aime parce qu’elle n’est pas aimée ; amour véritable seulement entre Mme de Rênal et J en prison !
Avant entrelacement de l’émotion amoureuse et de l’hostilité sociale qui rejette la femme « dans le camp ennemi ».
Il est sans amour quand il entreprend de saisir la main de Mm de Rênal, parce qu’elle l’a retirée, il est sans amour quand il se rend à la convocation de Mathilde pour cette nuit d’amour truquée où les deux amants obéissent à d’autres motifs que le désir ou la passion.
Séduction de Mme de Rênal perçue comme une tâche, un devoir, un signe de courage : rendez-vous d’amour = épreuve héroïque, contrainte que le héros serait presque heureux d’éviter.(I,8 ,9,13,14,15,16,30)  Amour ressenti comme une faiblesse.
Mathilde : lui déplaît, froideur et mépris : II,2,3,8, regard social qui voit en elle plutôt la grande dame : cf être l’égal du fiancé noble  de Croisenoix. Revanche sociale : pervertit le cœur de J
Quelques fois, prise de conscience de l’amour en I : «  elle a beau être noble et moi fils d’ouvrier, elle m’aime »I,16 mais outrager les riches et M de rênal fait du geste amoureux le geste d’un inférieur obsédé de revanche. = encore avec Mathilde : rivalité ave les autres jeunes gens qui fréquentent l’hôtel de la Môle. Cf «  Moi, pauvre paysan, j’ai donc une déclaration d’amour d’une grande dame »II,13  vanité : vaincre les autres en possédant Mathilde. Mais amour-propre survolté de l’ambitieux aimé par une femme noble favorise la passion : grandi à ses propres yeux, J s’admire d’être aimé : I,16,19,30  cf «  son amour était encore de l’ambition…ne semblait vivre que de surprise et de ravissement d’amour propre » II,16,19 : » le rang de sa maîtresse semblait l’élever au-dessus de lui-même »
Mme de Rênal lui apprendra cependant le véritable amour qui est désappropriation de soi : elle sacrifie presque sa foi, J se croyant aimé, « il l’en aima davantage », son sacrifice fait qu’il va « l’adorer », jamais le cas avec Mathilde : amour=guerre.
Mathilde cherche le défi, sa propre « gloire », imprégnée de lectures et de modèles héroïques : elle s’honore en se déshonorant ! Sorte de double de Julien. Côté viril de Mathilde. Voulant un amant qui serait « un maître » et révoltée contre son triomphateur, image inversée de J : elle veut descendre alors qu’il veut monter ! Amour pénétré de modèles littéraires : princesse amoureuse d’un homme qui lui est inférieur. Amour et haine mêlées. Combat de deux amours propres en apparence intraitables et dominateurs et secrètement fragiles et tributaires l’un de l’autre. Elle ne peut aimer que celui qui en l’humiliant lui aura prouvé sa supériorité sur elle. J se distingue des autres par sa distance, son refus des valeurs nobiliaires, son indifférence. Elle qui méprise tout le monde aime qui la méprise ! J ne devient digne d’être aimé à ses yeux qu’en retrouvant son ascendant par la menace cf la vieille épée ou son énergie cf l’invasion de la chambre de Mathilde. Cf soumission en mutilant sa chevelure. Mais miroir de J qui connaît sa plus grande crise quand Mathilde le rejette : haine de lui-même. Jamais d’abdication du Moi dans leur relation alors que le véritable amour est reconnaître que le moi n’existe pas sans l’autre.
Nécessité pour restaurer le moi humilié par Mathilde de l’humilier à son tour cf la séduction par lettres de Mme de Fervaques : retour de la passion. Amour étrange où les amants ne semblent jamais pouvoir se montrer d’amour ensemble. Mathilde pas héroïne de l’amour, héroïne tout court. Allant au bout de son personnage, elle entraine Julien dans une ascension héroïque où ils reproduisent le couple ancestral De Boniface de la Môle et de Marguerite de Navarre.
Mais devenu Boniface en prison, J découvre que la relation avec Mathilde est une « fausse passion » et découvre le pur amour , délivré du souci d’en imposer aux autres, avec Mme de Rênal.

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