En quoi le Rouge et le Noir est-il un roman
d’apprentissage ?
L’apprentissage de Julien
1.
Julien, un personnage en évolution.
Au
début adolescent 18-19 ans, en paraît 16 à Mme de Rênal, qui le confond parfois
avec ses propres enfants dont il a l’ignorance et la naïveté car il ne
connait pas les codes de la bonne société cf I, 17 : » elle se
permettait avec lui les mêmes gestes intimes qu’avec ses enfants. C’est qu’il y
avait des jours où elle avait l’illusion de l’aimer comme son enfant. Sans
cesse n’avait-elle pas à répondre à ses questions naïves sur mille choses
simples qu’un enfant bien né , n’ignore pas à quinze ans ? »
Lorsqu’il arrive à l’Hôtel de la Môle et
qu’il reste ébahi au milieu de la cour, l’abbé Pirard est encore obligé de le
tancer : II,2
« Ayez donc l’air raisonnable, dit
l’abbé Pirard ; il vous vient des idées horribles, et puis vous n’êtes
qu’un enfant ! où est le nil mirari ( Ne rien admirer)
d’Horace ? »
Durant son apprentissage, cet
« enfant » qui a renié son père naturel est aidé par des modèles –
Napoléon, Danton- et des guides qui se relaient d’abord le vieux chirurgien
major qui lui a légué le mémorial de saint Hélène, ensuite l’abbé Chelan qui
lui a appris le latin et la Bible, Mde la Môle qui sans le connaître pour faire
plaisir à l’abbé Pirard lui envoie 500 francs et bien plus tard l’embauche et
le nommera M ; de la Vernaye, le dote d’une terre et d’une rente , le fait
entrer dans sa famille.
Cf élan du cœur de Julien II,1 :
« J’ai été haï par mon père, depuis le berceau, c’était un de mes grands
malheurs ; mais je ne me plaindrai plus du hasard, j’ai retrouvé un père
en vous, monsieur. »
2.
Julien d’une épreuve à l’autre : un
parcours ponctué d’obstacles : vie qui est une épreuve perpétuelle, mot en
italique : prendre la main de Mme Rênal, lui voler une première nuit
d’amour, monter à une échelle pour atteindre la chambre de Mathilde. Question
du courage dont Julien doit faire preuve maintes fois et de son comportement
parfois téméraire.
Ultime épreuve celle de l’échafaud, de la
condamnation à mort.
Passe beaucoup de seuils durant sa vie au
sens propre comme au sens figuré/ extrait à citer : « - Serais-je un
lâche ! se dit-il, aux armes !
Ce mot, si souvent répété dans les récits
de batailles du vieux chirurgien, était héroique pour Julien. Il se leva et
marcha rapidement vers la maison de M ; de Rênal. Malgré ses belles
résolutions, dès qu’il l’aperçut à vingt pas de lui, il fut saisi d’une
invincible timidité. La grille de fer était ouverte, elle lui semblait
magnifique, il fallait entrer là-dedans. » lieu assimilé à un gouffre
ouvert
La porte des de la Môle semble tout aussi
impressionnante à Julien lors de son arrivée à Paris.
Rappelons-nous qu’à l’entrée au séminaire,
il s’évanouit. : il doit passer par plusieurs portes surmontées d’une
croix, suit un portier comparable à un véritable cerbère et perçoit le
séminaire comme une infernale prison dont il ne pourra pas sortir. En y
pénétrant Julien meurt à lui-même, il doit abandonner tous ses plaisirs, celui
de la chair notamment pour accéder à une nouvelle vie.
Changement : A la fin du roman, il passe
une dernière porte, celle qui mène du cachot des condamnés à la mort sans même
s’en rendre compte :
« Lui qui, d’ordinaire, remarquait
jusqu’aux plus petites circonstances ne s’était pas aperçu qu’on ne le faisait
pas remonter à son donjon. »
Une véritable élévation : nombre de
fois où il monte à une échelle, où il est amené à grimper.
Pas un hasard s’il demande à être enterré
dans la « petite grotte de la montagne qui domine Verrières » :
il ya été libre et heureux.
Ascension extrêmement paradoxale :
c’est en tirant sur Mme de Rênal que Julien choisit la verticalité plutôt que
la simple ascension : il entre dans l’église significativement au moment
de « l’élévation » au moment où le prêtre, lors de la messe, élève
l’hostie et le calice pour le monter aux fidèles. La vie de Julien
bascule : tout ce que le jeune ambitieux avait rêvé en termes d’ascension
sociale s’écroule, mais parallèlement il trouve enfin le bonheur et la liberté.
Le cachot comme lieu de liberté :
prison lieu d’une purification, se dépouille de tous les masques, de toutes les
entraves mondaines nécessaires au jeu social. La prison est identifiée au
« ciel » : « Laissez-moi ma vie idéale. Vos petites
tracasseries, vos détails de la vie réelle, plus ou moins froissants pour moi,
me tireraient du ciel. » II, 40
Lui qui croit d’abord qu’apprendre à vivre en société consiste à
apprendre l’hypocrisie, lui, qui à force d’identité empruntée ne sait plus quel
est son véritable nom ( Julien Sorel/ chevalier de la Vernaye) accède enfin à
la transparence et à la simplicité.
Plus question de scinder son être entre le
Rouge ( la carrière militaire) et le Noir ( la carrière ecclésiastique), deux
postulations antithétiques tout aussi trompeuses l’une que l’autre. Se définir
dans sa singularité.
Tout au long du roman : adjectif singulier
lui est accolé : personnage étrange, déplacé, inadéquat en société.
Julien peut enfin être simple avec Mme de
Rênal « convenable » on s’étonne du choix de cet adjectif employé
d’abord pour louer le comportement de Mme de Rênal ( noble, ferme et
parfaitement convenable) et à la fin du roman : « Tout se passa
simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation. »
Julien a appris à être lui-même. Lui qui se
haïssait, lui qui se demandait, impuissant « Pourquoi suis-je
moi ? », lui qui se plaisait à « couvrir de ridicule cet être
odieux que j’appelle moi » et prenait le masque de Danton, Don Juan,
Tartuffe, peut enfin être lui-même.
Trouver son intégrité : Julien aura
été à l’école de la corruption et de la mauvaise foi, mais le
« crime » lui vaut rédemption. Julien l’hypocrite, le double, le
multiple trouve son unité et sa vérité.
En prison au lieu de se regarder vivre et
de juger incessamment son comportement et celui des autres, il s’autorise à
vivre sans plus aucun calcul l’amour de Mme de Rênal et il meurt unifié malgré
la décapitation !