Après le
déjeuner, madame de Rênal rentra dans le salon pour recevoir la visite de M.
Charcot de Maugiron, le sous-préfet de Bray. Elle travaillait à un petit métier
de tapisserie fort élevé. Madame Derville était à ses côtés. Ce fut dans une
telle position, et par le plus grand jour, que notre héros trouva convenable
d’avancer sa botte et de presser le joli pied de madame de Rênal, dont le bas à
jour et le joli soulier de Paris attiraient évidemment les regards du galant
sous-préfet.
Madame de
Rênal eut une peur extrême ; elle laissa tomber ses ciseaux, son peloton
de laine, ses aiguilles, et le mouvement de Julien put passer pour une
tentative gauche destinée à empêcher la chute des ciseaux, qu’il avait vus
glisser. Heureusement ces petits ciseaux d’acier anglais se brisèrent, et
madame de Rênal ne tarit pas en regrets de ce que Julien ne s’était pas trouvé plus
près d’elle. — Vous avez aperçu la chute avant moi, vous l’eussiez
empêchée ; au lieu de cela votre zèle n’a réussi qu’à me donner un fort
grand coup de pied. Tout cela trompa le sous-préfet, mais non madame Derville.
Ce joli garçon a de bien sottes manières ! pensa-t-elle, le savoir-vivre
d’une capitale de province ne pardonne point ces sortes de fautes. Madame de
Rênal trouva le moment de dire à Julien :
— Soyez
prudent, je vous l’ordonne.
Julien
voyait sa gaucherie, il avait de l’humeur. Il délibéra longtemps avec lui-même,
pour savoir s’il devait se fâcher de ce mot : Je vous l’ordonne. Il
fut assez sot pour penser : Elle pourrait me dire je l’ordonne,
s’il s’agissait de quelque chose de relatif à l’éducation des enfants, mais en
répondant à mon amour, elle suppose l’égalité. On ne peut aimer sans égalité...
et tout son esprit se perdit à faire des lieux communs sur l’égalité. Il se
répétait avec colère ce vers de Corneille, que madame de Derville lui avait
appris quelques jours auparavant :
« ٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠٠
L’amour
» Fait les égalités et ne les cherche pas. »
» Fait les égalités et ne les cherche pas. »
Julien s’obstinant à jouer le rôle d’un Don Juan, lui qui de la vie n’avait eu de maîtresse, il fut sot à mourir toute la journée. Il n’eut qu’une idée juste ; ennuyé de lui et de madame de Rênal, il voyait avec effroi s’avancer la soirée où il serait assis au jardin, à côté d’elle et dans l’obscurité. Il dit à M. de Rênal, qu’il allait à Verrières voir le curé, il partit après dîner et ne rentra que dans la nuit.
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