Texte 3 La provocation: pénétrer dans la chambre de
Mathilde
Autres
titres possibles: Ne pas perdre la face, dans la chambre de Mathilde, Amour
sincère ou satisfaction d'amour propre?
Ce matin vous avez essayé de le transposer en scène de théâtre et de le mettre en voix et en espace:
Découpage du texte en différentes parties
Elle est folle, se disait Julien ; comme une heure sonna, il y avait encore de la lumière aux fenêtres du comte Norbert. De sa vie Julien n’avait eu autant de peur, il ne voyait que les dangers de l’entreprise, et n’avait aucun enthousiasme. (Etat d’âme de Julien avant l’action)
Il alla prendre l’immense échelle, attendit cinq minutes, pour laisser le temps à un contre-ordre, et à une heure cinq minutes posa l’échelle contre la fenêtre de Mathilde. Il monta doucement le pistolet à la main, étonné de n’être pas attaqué. Comme il approchait de la fenêtre elle s’ouvrit sans bruit :
— Vous voilà, monsieur, lui dit Mathilde avec beaucoup d’émotion ; je suis vos mouvements depuis une heure.
Julien était fort embarrassé, il ne savait comment se conduire, il n’avait pas d’amour du tout. Dans son embarras, il pensa qu’il fallait oser, il essaya d’embrasser Mathilde.
— Fi donc ! lui dit-elle en le repoussant.
Fort content d’être éconduit, il se hâta de jeter un coup d’œil autour de lui : la lune était si brillante que les ombres qu’elle formait dans la chambre de mademoiselle de La Mole étaient noires. Il peut fort bien y avoir là des hommes cachés sans que je les voie, pensa-t-il.
— Qu’avez-vous dans la poche de côté de votre habit ? lui dit Mathilde, enchantée de trouver un sujet de conversation. Elle souffrait étrangement ; tous les sentiments de retenue et de timidité, si naturels à une fille bien née, avaient repris leur empire, et la mettaient au supplice.
— J’ai toutes sortes d’armes et de pistolets, répondit Julien, non moins content d’avoir quelque chose à dire.
— Il faut retirer l’échelle, dit Mathilde.
— Elle est immense, et peut casser les vitres du salon en bas, ou de l’entresol.
— Il ne faut pas casser les vitres, reprit Mathilde essayant en vain de prendre le ton de la conversation ordinaire ; vous pourriez, ce me semble, abaisser l’échelle au moyen d’une corde qu’on attacherait au premier échelon. J’ai toujours une provision de cordes chez moi.
(Action : intrusion de Julien dans la
chambre de Mathilde et dialogue entre les deux personnages + précisions sur
leur pensées véritables masquées par le discours de surface)
Et c’est là une femme amoureuse ! pensa Julien, elle ose dire qu’elle aime ! tant de sang-froid, tant de sagesse dans les précautions m’indiquent assez que je ne triomphe pas de M. de Croisenois comme je le croyais sottement ; mais que tout simplement je lui succède. Au fait, que m’importe ! Est-ce que je l’aime ? Je triomphe du marquis en ce sens qu’il sera très fâché d’avoir un successeur, et plus fâché encore que ce successeur soit moi. Avec quelle hauteur il me regardait hier soir au café Tortoni, en affectant de ne pas me reconnaître ; avec quel air méchant il me salua ensuite, quand il ne put plus s’en dispenser ! (Réaction intérieure de Julien face aux agissements de Mathilde : séduction de Mathilde = revanche sur l’humiliation subie de la part de Croisenois. Pas de vrai sentiment amoureux.)
Et c’est là une femme amoureuse ! pensa Julien, elle ose dire qu’elle aime ! tant de sang-froid, tant de sagesse dans les précautions m’indiquent assez que je ne triomphe pas de M. de Croisenois comme je le croyais sottement ; mais que tout simplement je lui succède. Au fait, que m’importe ! Est-ce que je l’aime ? Je triomphe du marquis en ce sens qu’il sera très fâché d’avoir un successeur, et plus fâché encore que ce successeur soit moi. Avec quelle hauteur il me regardait hier soir au café Tortoni, en affectant de ne pas me reconnaître ; avec quel air méchant il me salua ensuite, quand il ne put plus s’en dispenser ! (Réaction intérieure de Julien face aux agissements de Mathilde : séduction de Mathilde = revanche sur l’humiliation subie de la part de Croisenois. Pas de vrai sentiment amoureux.)
Explication ligne à ligne
Elle est folle, se disait Julien ; comme une heure sonna, il y avait
encore de la lumière aux fenêtres du comte Norbert.
Mathilde apparaît à Julien comme
une femme totalement dénuée de raison ( phrase au discours direct), mais la
scène de l’escalade avec l’échelle n’est pas sans rappeler ses propres
tentatives pour entrer dans la chambre de Mme de Rênal. Les 2 personnages,
Julien et Mathilde, ont beaucoup de points communs : désir d’héroïsme,
tempérament romanesque, imagination fertile. Julien cependant ne semble pas rassuré, il s'alarme de la lumière qui subsiste.
Le comte Norbert est le frère de
Mathilde. Les circonstances de l’action : une heure du matin, dans la
maison du Comte de la Môle, le frère est encore éveillé puisqu’il ya de la
lumière. Le moment ne paraît pas propice.
De sa vie Julien n’avait eu autant de peur, il ne voyait que les dangers de
l’entreprise, et n’avait aucun enthousiasme. (Narrateur qui nous introduit dans les pensées et
sentiment de Julien. Comme pour la scène de la conquête de la main de Mme Rênal
dans le livre 1, situation intérieure
troublée : peur extrême, sentiment d’une prise de risque inouïe, aucun
amour, tournures restrictives et proposition négative qui témoignent du
« manque d’enthousiasme » Julien paraît pleutre, lâche, bien peu héroïque.)
Il alla prendre l’immense échelle, attendit cinq minutes, pour laisser le
temps à un contre-ordre, et à une heure cinq minutes posa l’échelle contre la
fenêtre de Mathilde. ( phrase
complexe, propositions juxtaposées, succession
de verbes qui relatent les différentes actions : alla prendre,
attendit, posa l’échelle// avec la scène de la main : joue la montre,
espère un ultime obstacle : attendit 5 minutes : cc de
but : « pour laisser le temps
à un contre ordre » , à nouveau vocabulaire militaire mais cette fois c’est
Mathilde qui dirige les opérations.)
Il monta doucement le pistolet à la main, étonné de n’être pas attaqué. (action très romanesque :
escalader la façade avec un pistolet à la main : précaution de
Julien :cf adverbe « doucement », entrée dans sa
pensée : « étonné de ne pas être attaqué », Julien parano,
qui croit à un piège et est sur ses gardes.
Comme il approchait de la fenêtre elle s’ouvrit sans bruit : ( pas de mention tout de suite de
qui ouvre la fenêtre, création d’un court suspens. Point de vue de Julien)
— Vous voilà, monsieur, lui dit Mathilde avec beaucoup d’émotion ; je
suis vos mouvements depuis une heure. ( Phrase de dialogue au discours direct. Mathilde
l’appelle »monsieur », le vouvoie, très émue. A observé le manège et
les hésitations de Julien depuis uen heure.)
Julien était fort embarrassé, il ne savait comment se conduire, il n’avait
pas d’amour du tout.
(Une fois de plus maladresse de
Julien soulignée par le narrateur « fort embarrassé », ne sait pas
comment se comporter : deux phrases négatives. Pas d’amour comme tétanisé,
a perdu tout ses moyens, ne sait tirer avantage de son geste héroïque.)
Dans son embarras, il pensa qu’il fallait oser, il essaya d’embrasser
Mathilde. (A nouveau impulsivité de Julien :
« oser », toujours la question de « l’audace », se jette
sur Mathilde pour l’embrasser. N’a pas les codes de comportement adéquats. A
nouveau situation comique car personnage caractérisé par sa maladresse.)
— Fi donc ! lui dit-elle en le repoussant. ( réaction immédiate de rejet et de mépris :
fi ! repoussant »
Fort content d’être éconduit, il se hâta de jeter un coup d’œil autour de
lui : la lune était si brillante que les ombres qu’elle formait dans la
chambre de mademoiselle de La Mole étaient noires. ( réaction de Julien surprenante pour le lecteur :
« fort content d’être éconduit », pas de réaction d’orgueil mal placé
apparemment, pas de blessure d’amour-propre de voir son désir bafoué puisqu’il
n’en éprouve pas à ce moment-là. Julien occupé seulement par son idée du
complot contre lui : observe la chambre, les ombres projetées par la lune
sont noires, atmosphère de film d’espionnage ou d’horreur à nos yeux, décor
d’une conspiration.)
Il peut fort bien y avoir là des hommes cachés sans que je les voie,
pensa-t-il. ( discours
direct, à nouveau l’auteur place le lecteur à l’intérieur de la tête de Julien :
Théorie du complot, crainte d’hommes cachés prêtes à le surprendre. Imagination
qui va son train.)
— Qu’avez-vous dans la poche de côté de votre habit ? lui dit
Mathilde, enchantée de trouver un sujet de conversation. ( Mathilde démunie elle aussi
devant l’intrusion de Julien et son comportement, trouve un dérivatif en
observant Julien : il a quelque chose dans la poche de son habit. Le
narrateur se moque des personnages : ironie du « enchantée »
alors qu’elle devrait être en proie au désir , elle est enchantée de pouvoir
parler d’un objet apporté par Julien.)
Elle souffrait étrangement ; tous les sentiments de retenue et de timidité, si naturels à une fille bien née, avaient repris leur empire, et la mettaient au supplice. ( Phrase qui détaille les émotions de la jeune fille : souffrance très forte, « au supplice » car elle sait qu’elle manque à tous ses devoirs de « fille bien née » : retenue, timidité. A conscience de ne pas se comporter selon son rang et sa vertu, alors qu’à d’autres moments elle s’en fiche, et veut être une héroïne hors normes. Situation de torture morale. Lucidité sur la mésalliance possible. Tiraillée entre la bienséance et son désir. Oscillation constante de Mathilde.)
— J’ai toutes sortes d’armes et de pistolets, répondit Julien, non moins
content d’avoir quelque chose à dire. ( Réponse de Julien à la question posée : armes et pistolets dans ses
poches ; dialogue à propos d’éléments externes pour masquer leur trouble
intérieur. Comique de situation.)
— Il faut retirer l’échelle, dit Mathilde. ( Chacun suit son propre sentiment. Les deux personnages
n’arrivent pas à vraiment communiquera. Mathilde gênée par l’intrusion, et la
trouvant maintenant inconvenante alors qu’elle l’avait organisée, souhaite
effacer la trace de l’escalade. C’est elle qui commande : « il
faut » impératif catégorique.)
— Elle est immense, et peut casser les vitres du salon en bas, ou de
l’entresol. ( Julien émet
des objections, discussion technique : effet comique au lieu de s’aimer il
discute à propos de l’échelle. Julien craint le bruit qui alerterait le monde,
raisonnement parallèle qui les amène à se rejoindre sur les dangers encourus.)
Il ne faut pas casser les vitres, reprit Mathilde essayant en vain de
prendre le ton de la conversation ordinaire ; vous pourriez, ce me semble,
abaisser l’échelle au moyen d’une corde qu’on attacherait au premier échelon. ( situation de plus en plus
loufoque : accord sur le fait de ne pas casser les vitres ou faire du
bruit, décalage entre la gravité de la situation qui risque de la compromettre
et le ton de « la conversation ordinaire », toujours polie dans
l’adresse à Julien au conditionnel « vous pourriez », « ce me
semble » ( semble le ménager, lui suggérer ce qu’il doit faire), mais
solution proposée irréaliste : « abaisser l’échelle au moyen d’une
corde qu’on attacherait au premier échelon »)
J’ai toujours une provision de cordes chez moi. ( Etonnant, donne l’impression qu’elle a l’habitude de ce
genre de situation, dit n’importe quoi, tout à fait rocambolesque et
invraisemblable.)
Et c’est là une femme amoureuse ! pensa Julien, elle ose dire qu’elle
aime ! ( Réaction de
julien au discours direct : ironie à l’égard de Mathilde qui passe à ses
yeux pour une aventurière, doute de la sincérité de son amour à elle, mais lui
n’est pas plus démonstratif.)
Tant de sang-froid, tant de sagesse dans les précautions m’indiquent assez
que je ne triomphe pas de M. de Croisenois comme je le croyais sottement ;
mais que tout simplement je lui succède. ( se croit trahi par une femme coutumière des
aventures : lui reproche son « sang-froid », la « sagesse
dans les précautions », pense qu’elle a l’habitude. Interprète l’attitude
de Mathilde en sa défaveur et se juge sot d’avoir cru « triompher »
de celui qui était officiellement le fiancé de Mathilde M. de Croisenois -
amour de Mathilde, donc une fois de plus satisfaction d’amour-propre :
être le rival d’un noble et le battre sur le terrain de l’amour. Humiliation de
n’être pas le premier, déçu d’être le second, de « succéder ».
Désillusion de Julien.)
Au fait, que m’importe ! Est-ce que je l’aime ? Remise en
question de son propre amour pour elle.
Je triomphe du marquis en ce sens qu’il sera très fâché
d’avoir un successeur, et plus fâché encore que ce successeur soit moi. (Satisfaction d’amour propre :
fâcher le marquis de Croisenois en prenant sa place. Rivalité de classe plus
que riva lité amoureuse. Humilier un noble en aimant la femme qu’il aime.
Froideur, calcul. Julien ne sait pas jouir du moment présent, toujours se voit
sous le regrs des autres, de ceux qui l’oppriment.
Avec quelle hauteur
il me regardait hier soir au café Tortoni, en affectant de ne pas me
reconnaître ; avec quel air méchant il me salua ensuite, quand il ne put
plus s’en dispenser ! ( Se souvient de sa propre humiliation la veille (
hier au soir), du regard hautain qui lui a jeté le marquis qui « affectait
de ne pas le reconnaître, de son regard méchant. Donc amour de Mathilde =
revanche sociale. Julien constamment entrain d’analyser la façon dont les
autres le jugent, parano, revanchard, réaction d’orgueil et de ressentiment à
force de se sentir humulié. En oublie complètement la présence de
Mathide !
Style de Stendhal, plus que les actions, ce qui l’intéresse
c’est l’intériorité des personnages, leurs pensées, la façon dont ce qu’ils
pensent les amène à agir. L’Autre est un mystère, chacun s’interroge sur les
motivations de l’Autre, ses intérêts.
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